La quatrième guerre sacrée

NOTES

  1. Elle fut attaquée en 341 par Philippe. Ce dernier, occupé par le siège de Périnthe, apprit que les assiégés recevaient des secours de Byzance. Il marcha sur cette cité avec une partie de ses troupes. L’arrivée de la flotte athénienne le contraignit à se retirer. Ce fait est mis en valeur par Démosthène comme exemple de ce qu’étaient encore capables les Athéniens.
  2. La cité des Locriens.
  3. Il s’agit des députés des cités grecques réunies en confédération politique et religieuse à Delphes ou aux Thermopyles. Parmi les représentants les plus importants des douze peuples qui forment cette association on compte : les Thessaliens, les Dolopes, les Achéens, les Béotiens, les Doriens, les Locriens, les Phocidiens. Ces derniers furent, en 345, remplacés par les Macédoniens. Depuis le Ve siècle, l’objet de l’assemblée était l’inten­dance du temple de Delphes et la célébration des Jeux Pythiques. Les Amphictyons sont liés entre eux par des serments. On trouve chez Eschine (Contre Ctésiphon, 109-110). Chaque tribu s’engageait à ne pas détruire les autres cités amphic­tyoniques et à ne pas intercepter les eaux potables. En principe, les Amphictyons doivent assurer l’exécution d’une sentence des hiéromnémons. S’il le faut ils doi­vent lever une armée. Dans les faits, les sentences ne sont respectées que quand une cité de grande influence y trouve des intérêts poli­tiques (voir Eschine, Contre Ctésiphon, 108 et 125-130). Les Amphictyons, en appelant Philippe à leur secours contre les Phocidiens accusés de sacrilège, préparèrent l’asservissement de la Grèce.
  4. Athènes est, depuis les choix stratégiques de Thémistocle et de Périclès, invulnérable par mer, alors que les côtes ma­cédoniennes sont exposées aux at­taques athé­niennes.
  5. Les représentants envoyés à l’assemblée par chacune des cités amphictyoniques. À cette époque ils ont la garde du ter­ritoire, des intérêts matériels du dieu. Lors de leur tournée d’inspec­tion annuelle ils s’assurent que le territoire consacré n’a pas été mis en culture, qu’on n’y a pas construit de maisons ou de moulins à huile ou a blé, qu’on ne lève aucun droit sur les pèlerins : tout cela pour respecter un ancien oracle de la Pythie (voir Eschine, Contre Ctésiphon, 108).
  6. Les pylagores(ceux qui parlent à l’assemblée des Thermopyles) sont élus à main levée par leurs conci­toyens (voir Eschine, Contre Ctésiphon, 114). Ce sont des orateurs, des hommes politiques. Ils assistent les hiéromnémonsdésignés, eux, par le sort, pour un an. Les hiéromné­monset les pylagoresse réunissent en as­semblée ou sunédrion. Les pylagoresdé­fendent les inté­rêts de la cité qu’ils représentent mais n’ont que voix consultative. Ils se retirent pour laisser les hiéromné­monsdélibérer et voter.
  7. Le vote avait sans doute été escamoté.
  8. Selon Eschine le territoire de cette cité avait été consacré à Apollon. Il accuse les Amphissiens de l’avoir occupé et cultivé.
  9. Personnage qui présidait à ce moment l’assemblée des Amphictyons.
  10. Chacune des dix tribus fournissait cinquante prytanes. Les Cinq-Cents formaient la Boulè. Chaque groupe de cin­quante administrait les affaires à tour de rôle pendant la dixième partie de l’année. Cette période s’appelait une prytanie.
  11. Sans doute pour que les flammes fassent office de signal pour les gens à l’extérieur de l’astu.
  12. Formule rituelle.
  13. Les Trois-Cents plus riches citoyens d’Athènes formaient la première symmorie, classe de citoyens répar­tis selon leur fortune pour l’établissement de l’impôt sur le capital en temps de guerre.
  14. Longin (Traité du Sublime, 29) cite cette phrase comme un modèle.
  15. Voir Polyen, IX, 11, 8.
  16. Frontin (Stratagèmes, I, 4, 13) attribue cette ruse au même Philippe, mais lors du passage de l’Hel­lespont gardé par les Athéniens.
  17. Chéronée est à trois jours de marche d’Athènes.
Carte 8 - La Quatrième Guerre sacrée

La prise de la flotte athénienne et la progression de l’armée macédonienne

 

340-339. Prise de la flotte marchande athénienne par les Macédoniens. Philippe lève le siège de Périnthe et de Byzance1. L’affaire d’Amphissa2 permet à Philippe de s’avancer jusqu’à Élatée et fait de lui le chef des Amphictyons3.Philippe est choisi pour mener la Quatrième guerre sacrée.

[144] Ἥτις δ’ ἡ φύσις, ἄνδρες Ἀθηναῖοι, γέγονεν τούτων τῶν πραγμάτων, καὶ τίνος εἵνεκα ταῦτα συνεσκευάσθη καὶ πῶς ἐπράχθη, νῦν ἀκούσατε, ἐπειδὴτότ’ ἐκωλύθητε·καὶ γὰρ εὖ πρᾶγμα συντεθὲν ὄψεσθε, καὶ μεγάλ’ ὠφελήσεσθε πρὸς ἱστορίαν τῶν κοινῶν, καὶ ὅση δεινότης ἦν ἐν τῷ Φιλίππῳ θεάσεσθε. [145] Οὐκ ἦν τοῦ πρὸς ὑμᾶς πολέμου πέρας οὐδ’ ἀπαλλαγὴ Φιλίππῳ, εἰ μὴ Θηβαίους καὶ Θετταλοὺς ἐχθροὺς ποιήσειε τῇ πόλει· ἀλλὰ καίπερ ἀθλίως καὶ κακῶς τῶν στρατηγῶν τῶν ὑμετέρων πολεμούντων αὐτῷ, ὅμως ὑπ’ αὐτοῦ τοῦ πολέμου καὶ τῶν λῃστῶν μυρί’ ἔπασχε κακά. Οὔτε γὰρ ἐξήγετο τῶν ἐκ τῆς χώρας γιγνομένων οὐδὲν οὔτ’ εἰσήγεθ’ ὧν ἐδεῖτ’ αὐτῷ· [146] ἦν δ’ οὔτ’ ἐν τῇ θαλάττῃ τότε κρείττων ὑμῶν οὔτ’ εἰς τὴν Ἀττικὴν ἐλθεῖν δυνατὸς μήτε Θετταλῶν ἀκολουθούντων μήτε Θηβαίων διιέντων· συνέβαινε δ’ αὐτῷ τῷ πολέμῳ κρατοῦντι τοὺς ὁποιουσδήποθ’ ὑμεῖς ἐξεπέμπετε στρατηγούς ἐῶ γὰρ τοῦτό γἐ αὐτῇ τῇ φύσει τοῦ τόπου καὶ τῶν ὑπαρχόντων ἑκατέροις κακοπαθεῖν. [147] Εἰ μὲν οὖν τῆς ἰδίας ἕνεκ’ ἔχθρας ἢ τοὺς Θετταλοὺς ἢ τοὺς Θηβαίους συμπείθοι βαδίζειν ἐφ’ ὑμᾶς, οὐδέν’ ἡγεῖτο προσέξειν αὐτῷ τὸν νοῦν· ἐὰν δὲ τὰς ἐκείνων κοινὰς προφάσεις λαβὼν ἡγεμὼν αἱρεθῇ, ῥᾷον ἤλπιζε τὰ μὲν παρακρούσεσθαι, τὰ δὲ πείσειν. Τί οὖν ; Ἐπιχειρεῖ, θεάσασθ’ ὡς εὖ, πόλεμον ποιῆσαι τοῖς Ἀμφικτύοσι καὶ περὶ τὴν Πυλαίαν ταραχήν· εἰς γὰρ ταῦτ’ εὐθὺς αὐτοὺς ὑπελάμβανεν αὑτοῦ δεήσεσθαι. [148] Εἰ μὲν τοίνυν τοῦτ’ ἢ τῶν παρ’ ἑαυτοῦ πεμπομένων ἱερομνημόνων ἢ τῶν ἐκείνου συμμάχων εἰσηγοῖτό τις, ὑπόψεσθαι τὸ πρᾶγμ’ ἐνόμιζε καὶ τοὺς Θηβαίους καὶ τοὺς Θετταλοὺς καὶ πάντας φυλάξεσθαι, ἂν δ’ Ἀθηναῖος ᾖ καὶ παρ’ ὑμῶν τῶν ὑπεναντίων ὁ τοῦτο ποιῶν, εὐπόρως λήσειν· ὅπερ συνέβη. Πῶς οὖν ταῦτ’ ἐποίησεν ; Μισθοῦται τουτονί. [149] Οὐδενὸς δὲ προειδότος, οἶμαι, τὸ πρᾶγμ’ οὐδὲ φυλάττοντος, ὥσπερ εἴωθε τὰ τοιαῦτα παρ’ ὑμῖν γίγνεσθαι, προβληθεὶς πυλάγορος οὗτος καὶ τριῶν ἢ τεττάρων χειροτονησάντων αὐτὸν ἀνερρήθη. Ὡς δὲ τὸ τῆς πόλεως ἀξίωμα λαβὼν ἀφίκετ’ εἰς τοὺς Ἀμφικτύονας, πάντα τἄλλ’ ἀφεὶς καὶ παριδὼν ἐπέραινεν ἐφ’ οἷς ἐμισθώθη,καὶ λόγους εὐπροσώπους καὶ μύθους, ὅθεν ἡ Κιρραία χώρα καθιερώθη, συνθεὶς καὶ διεξελθὼν ἀνθρώπους ἀπείρους λόγων καὶ τὸ μέλλον οὐ προορωμένους, τοὺς ἱερομνήμονας, [150] πείθει ψηφίσασθαι περιελθεῖν τὴν χώραν, ἣν οἱ μὲν Ἀμφισσεῖς σφῶν αὐτῶν οὖσαν γεωργεῖν ἔφασαν, οὗτος δὲ τῆς ἱερᾶς χώρας ᾐτιᾶτ’ εἶναι, οὐδεμίαν δίκην τῶν Λοκρῶν ἐπαγόντων ἡμῖν, οὐδ’ ἃ νῦν προφασίζεται λέγων οὐκ ἀληθῆ. Γνώσεσθε δ’ ἐκεῖθεν. Οὐκ ἐνῆν ἄνευ τοῦ προσκαλέσασθαι δήπου τοῖς Λοκροῖς δίκην κατὰ τῆς πόλεως τελέσασθαι. Τίς οὖν ἐκλήτευσεν ἡμᾶς ; Ἐπὶ ποίας ἀρχῆς; Εἰπὲ τὸν εἰδότα, δεῖξον.Ἀλλ’ οὐκ ἂν ἔχοις, ἀλλὰ κενῇ προφάσει ταύτῃ κατεχρῶ καὶ ψευδεῖ. [151] Περιιόντων τοίνυν τὴν χώραν τῶν Ἀμφικτυόνων κατὰ τὴν ὑφήγησιν τὴν τούτου, προσπεσόντες οἱ Λοκροὶ μικροῦ κατηκόντισαν ἅπαντας, τινὰς δὲ καὶ συνήρπασαν τῶν ἱερομνημόνων. Ὡς δ’ ἅπαξ ἐκ τούτων ἐγκλήματα καὶ πόλεμος πρὸς τοὺς Ἀμφισσεῖς ἐταράχθη, τὸ μὲν πρῶτον ὁ Κόττυφος αὐτῶν τῶν Ἀμφικτυόνων ἤγαγε στρατιάν, ὡς δ’ οἱ μὲν οὐκ ἦλθον, οἱ δ’ ἐλθόντες οὐδὲν ἐποίουν, εἰς τὴν ἐπιοῦσαν πυλαίαν ἐπὶ τὸν Φίλιππον εὐθὺς ἡγεμόν’ ἦγον οἱ κατεσκευασμένοι καὶ πάλαι πονηροὶ τῶν Θετταλῶν καὶ τῶν ἐν ταῖς ἄλλαις πόλεσι. [152] Καὶ προφάσεις εὐλόγους εἰλήφεσαν· ἢ γὰρ αὐτοὺς εἰσφέρειν καὶ ξένους τρέφειν ἔφασαν δεῖν καὶ ζημιοῦν τοὺς μὴ ταῦτα ποιοῦντας, ἢ ‘κεῖνον αἱρεῖσθαι. Τί δεῖ τὰ πολλὰ λέγειν; ᾙρέθη γὰρ ἐκ τούτων ἡγεμών. Καὶ μετὰ ταῦτ’ εὐθέως δύναμιν συλλέξας καὶ παρελθὼν ὡς ἐπὶ τὴν Κιρραίαν, ἐρρῶσθαι φράσας πολλὰ Κιρραίοις καὶ Λοκροῖς, τὴν Ἐλάτειαν καταλαμβάνει. [153] Εἰ μὲν οὖν μὴ μετέγνωσαν εὐθέως, ὡς τοῦτ’ εἶδον, οἱ Θηβαῖοι καὶ μεθ’ ἡμῶν ἐγένοντο, ὥσπερ χειμάρρους ἂν ἅπαν τοῦτο τὸ πρᾶγμ’ εἰς τὴν πόλιν εἰσέπεσε· νῦν δὲ τό γ’ ἐξαίφνης ἐπέσχον ἐκεῖνοι, μάλιστα μέν, ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι, θεῶν τινὸς εὐνοίᾳ πρὸς ὑμᾶς, εἶτα μέντοι καὶ ὅσον καθ’ ἕν’ ἄνδρα, καὶ δι’ ἐμέ. Δὸς δέ μοι τὰ δόγματα ταῦτα καὶ τοὺς χρόνους ἐν οἷς ἕκαστα πέπρακται, ἵν’ εἰδῆθ’ ἡλίκα πράγμαθ’ ἡ μιαρὰ κεφαλὴ ταράξασ’ αὕτη δίκην οὐκ ἔδωκε. [154] Λέγε μοι τὰ δόγματα.

[144] Quels furent donc le caractère, le but, le dénouement de ces intrigues ? Apprenez-le aujourd’hui, puisqu’alors on ne vous le permit pas.Vous verrez un plan bien concerté ; vous en tirerez de grandes lumières pour votre histoire ; vous connaîtrez Philippe et son génie. [145] Il ne pouvait se tirer de la guerre qu’il avait avec vous qu’en faisant des Thébains et des Thessaliens les ennemis d’Athènes. Quoique vos généraux le combattissent sans succès comme sans talent, la guerre par elle-même, et les pirates, lui faisaient souffrir mille maux. Rien ne sortait de la Macédoine, rien n’y entrait, pas même les choses les plus nécessaires. [146] Sur mer il n’était pas alors plus puissant que vous ; et il ne pouvait pénétrer dans l’Attique si les Thessaliens ne le suivaient, si les Thébains ne lui ouvraient le passage. Aussi, quoique vainqueur des chefs que vous lui opposiez, et que je ne juge pas, la situation du lieu et les ressources des deux Républiques le tenaient en échec4. [147] Conseillera-t-il aux Thessaliens et aux Thébains de marcher contre vous, pour servir sa propre haine ? nul ne l’écoutera. Armé du prétexte de la cause commune, se fera-t-il élire général ? il pourra plus aisément tromper les uns, persuader les autres. Que fait-il donc ? admirez son adresse ! il entreprend de susciter une guerre aux Amphictyons, et de troubler leurs assemblées, présumant que bientôt ils recourront à lui. [148] Cette guerre sera-t-elle proposée par une des hiéromnémons5 de Philippe ou de ses alliés ? Non : Thèbes et la Thessalie soupçonneraient ses desseins, et se tiendraient sur leurs gardes. Mais, qu’un Athénien, un député de ses ennemis, se charge de l’affaire, Philippe cachera facilement ses manœuvres : et c’est ce qui arriva. Comment y parvient-il ? il achète cet homme. [149] Personne, parmi vous, selon l’usage, ne se défiant de rien, ne prévoyant rien, celui-ci est proposé pour pylagore6 ; trois ou quatre affidés lèvent la main, il est proclamé7. Investi de l’autorité d’Athènes, il se rend près des Amphictyons, et, laissant là tout le reste, il consomme le crime auquel il s’est vendu. Par de beaux discours, par les fables qu’il arrange sur l’origine de la consécration de la plaine de Cirrha8, il persuade aux hiéromnémons, auditeurs novices et imprévoyants, de décréter la visite de ce canton. [150] Amphissa le cultivait comme lui appartenant ; son accusateur en faisait une partie du terrain sacré. Les Locriens ne nous avaient imposé nulle amende ; ils ne songeaient à aucune des poursuites dont cet imposteur colore maintenant sa perfidie : vous allez le reconnaître. Sans nous citer en justice, ce peuple ne pouvait faire condamner la République. Qui donc nous a cités ? sous quel Archonte ? Dis-nous qui le sait ! Impossible ! Tu as donc usé d’un prétexte faux, tu as menti ! [151] A l’instigation de ce fourbe, les Amphictyons visitent la contrée ; les Locriens fondent sur eux, les percent presque tous de leurs traits, prennent même quelques hiéromnémons. De là, grand tumulte, plaintes contre Amphissa, guerre enfin. Cottyphe9 est d’abord mis à la tête de l’armée amphictyonique ; mais les uns n’arrivent pas, les autres arrivent et ne font rien. La session suivante, le commandement est brusquement déféré à Philippe par des suppôts vieillis dans le crime, Thessaliens et gens des autres Républiques. [152] Ils saisissaient des prétextes spécieux. Il fallait, disaient-ils, contribuer en commun, entretenir des troupes étrangères, punir ceux qui n’obéiraient pas, ou choisir Philippe. Bref, ces intrigues le font élire général. Aussitôt il rassemble des forces, fait une marche simulée sur Cirrha, laisse là Cirrhéens et Locriens, et s’empare d’Élatée. [153] Si, à cette vue, les Thébains désabusés ne se fussent réunis à nous, la guerre, comme un torrent, tombait de tout son poids sur Athènes. Ils l’arrêtèrent soudain, grâce, ô Athéniens ! grâce surtout à la bienveillance de quelque Dieu, mais aussi, autant qu’a pu faire un seul homme, grâce à moi. Qu’on nous montre les décrets et les dates des événements : vous verrez quels troubles cette tête coupable a impunément soulevés ! [154] — Lis les décrets.

Démosthène, Discours de la couronne, 144-153

La prise d’Elatée et l’ouverture de la route vers Athènes

 

339. Prise d’Élatée. La cité est située sur la route conduisant des Thermopyles à Athènes à travers la Béotie. Son occupation par Philippe, au moment de l’affaire d’Amphissa, cause une profonde émotion à Athènes et amena une ré­conciliation et une nouvelle alliance entre Thèbes et Athènes. Aucun doute n’est possible, en effet, sur les intentions de Philippe.

[169] Ἑσπέρα μὲν γὰρ ἦν, ἧκε δ’ ἀγγέλλων τις ὡς τοὺς πρυτάνεις ὡς Ἐλάτεια κατείληπται. Καὶ μετὰ ταῦθ’ οἱ μὲν εὐθὺς ἐξαναστάντες μεταξὺ δειπνοῦντες τούς τ’ ἐκ τῶν σκηνῶν τῶν κατὰ τὴν ἀγορὰν ἐξεῖργον καὶ τὰ γέρρ’ ἐνεπίμπρασαν, οἱ δὲ τοὺς στρατηγοὺς μετεπέμποντο καὶ τὸν σαλπικτὴν ἐκάλουν· καὶ θορύβου πλήρης ἦν ἡ πόλις. Τῇ δ’ ὑστεραίᾳ, ἅμα τῇ ἡμέρᾳ, οἱ μὲν πρυτάνεις τὴν βουλὴν ἐκάλουν εἰς τὸ βουλευτήριον, ὑμεῖς δ’ εἰς τὴν ἐκκλησίαν ἐπορεύεσθε, καὶ πρὶν ἐκείνην χρηματίσαι καὶ προβουλεῦσαι πᾶς ὁ δῆμος ἄνω καθῆτο. [170] Καὶ μετὰ ταῦτα ὡς ἦλθεν ἡ βουλὴ καὶ ἀπήγγειλαν οἱ πρυτάνεις τὰ προσηγγελμέν’ ἑαυτοῖς καὶ τὸν ἥκοντα παρήγαγον κἀκεῖνος εἶπεν, ἠρώτα μὲν ὁ κῆρυξ ‘τίς ἀγορεύειν βούλεται’ παρῄει δ’ οὐδείς. Πολλάκις δὲ τοῦ κήρυκος ἐρωτῶντος οὐδὲν μᾶλλον ἀνίστατ’ οὐδείς, ἁπάντων μὲν τῶν στρατηγῶν παρόντων, ἁπάντων δὲ τῶν ῥητόρων, καλούσης δὲ [τῆς κοινῆς] τῆς πατρίδος [φωνῆς] τὸν ἐροῦνθ’ ὑπὲρ σωτηρίας· ἣν γὰρ ὁ κῆρυξ κατὰ τοὺς νόμους φωνὴν ἀφίησι, ταύτην κοινὴν τῆς πατρίδος δίκαιον ἡγεῖσθαι. [171] Καίτοι εἰ μὲν τοὺς σωθῆναι τὴν πόλιν βουλομένους παρελθεῖν ἔδει, πάντες ἂν ὑμεῖς καὶ οἱ ἄλλοι Ἀθηναῖοι ἀναστάντες ἐπὶ τὸ βῆμ’ ἐβαδίζετε· πάντες γὰρ οἶδ’ ὅτι σωθῆναι αὐτὴν ἐβούλεσθε· εἰ δὲ τοὺς πλουσιωτάτους, οἱ τριακόσιοι· εἰ δὲ τοὺς ἀμφότερα ταῦτα, καὶ εὔνους τῇ πόλει καὶ πλουσίους, οἱ μετὰ ταῦτα τὰς μεγάλας ἐπιδόσεις ἐπιδόντες· καὶ γὰρ εὐνοίᾳ καὶ πλούτῳ τοῦτ’ ἐποίησαν. [172] Ἀλλ’, ὡς ἔοικεν, ἐκεῖνος ὁ καιρὸς καὶ ἡ ἡμέρα ‘κείνη οὐ μόνον εὔνουν καὶ πλούσιον ἄνδρ’ ἐκάλει, ἀλλὰ καὶ παρηκολουθηκότα τοῖς πράγμασιν ἐξ ἀρχῆς, καὶ συλλελογισμένον ὀρθῶς τίνος εἵνεκα ταῦτ’ ἔπραττεν ὁ Φίλιππος καὶ τί βουλόμενος· ὁ γὰρ μὴ ταῦτ’ εἰδὼς μηδ’ ἐξητακὼς πόρρωθεν, οὔτ’ εἰ εὔνους ἦν οὔτ’ εἰ πλούσιος, οὐδὲν μᾶλλον ἔμελλ’ ὅ τι χρὴ ποιεῖν εἴσεσθαι οὐδ’ ὑμῖν ἕξειν συμβουλεύειν. [173] Ἐφάνην τοίνυν οὗτος ἐν ἐκείνῃ τῇ ἡμέρᾳ ἐγὼ καὶ παρελθὼν εἶπον εἰς ὑμᾶς, ἅ μου δυοῖν εἵνεκ’ ἀκούσατε προσσχόντες τὸν νοῦν, ἑνὸς μέν, ἵν’ εἰδῆθ’ ὅτι μόνος τῶν λεγόντων καὶ πολιτευομένων ἐγὼ τὴν τῆς εὐνοίας τάξιν ἐν τοῖς δεινοῖς οὐκ ἔλιπον, ἀλλὰ καὶ λέγων καὶ γράφων ἐξηταζόμην τὰ δέονθ’ ὑπὲρ ὑμῶν ἐν αὐτοῖς τοῖς φοβεροῖς, ἑτέρου δέ, ὅτι μικρὸν ἀναλώσαντες χρόνον πολλῷ πρὸς τὰ λοιπὰ τῆς πάσης πολιτείας ἔσεσθ’ ἐμπειρότεροι.

[169] C’était le soir ; arrive un homme qui annonce aux prytanes10 qu’Élatée est prise. Ils soupaient : à l’instant ils se lèvent de table ; les uns chassent les marchands de leurs tentes dressées sur la place publique, et brûlent les baraques11 ; les autres mandent les stratèges, appellent le trompette : toute la ville est remplie de tumulte. Le lendemain, au point du jour, les prytanes convoquent le Conseil dans son local ; vous allez à votre assemblée ; et, avant que le Conseil ait discuté, préparé un décret, tout le Peuple occupe les gradins supérieurs. [170] Bientôt entre le Conseil ; les prytanes répètent la nouvelle, introduisent le messager ; cet homme s’explique, et le héraut crie : Qui veut parler12 ? Personne ne se présente. Cet appel est réitéré : personne encore ! Là, cependant, se trouvaient tous les stratèges, tous les orateurs ! et la voix de la patrie demandait un avis pour la sauver ! car le héraut, prononçant les paroles dictées par la loi, est la voix de la patrie. [171] Toutefois, pour se présenter, que fallait-il ? vouloir le salut d’Athènes ? et vous et les autres citoyens, levés aussitôt, vous seriez accourus à la tribune ; tous, en effet, vous vouliez, je le sais, voir Athènes sauvée. Compter parmi les plus riches ? les Trois-Cents13 auraient parlé. Réunir zèle et richesse ? ceux-là se seraient levés qui, depuis, ont fait à l’État des dons considérables, résultat du patriotisme opulent. [172] Ah ! c’est qu’un tel jour, une telle crise, appelaient un citoyen non seulement riche et dévoué, mais qui eût encore suivi les affaires dès le principe, et raisonné avec justesse sur les motifs de la conduite de Philippe, sur ses desseins. Quiconque ne les eût point connus par une longue et attentive exploration, fût-il zélé, fût-il opulent, ne devait ni connaître le parti à prendre, ni avoir un conseil à donner. [173] Eh bien ! l’homme de cette journée, ce fut moi : je montai à la tribune. Ce que je vous dis alors, écoutez-le attentivement pour deux raisons : d’abord, afin de vous convaincre que, seul entre les orateurs et les gouvernants, je n’ai point déserté pendant l’orage le poste du patriotisme, mais qu’au milieu de cette crise terrible, le but reconnu de mes discours, de mes décrets fut de vous sauver ; ensuite, parce que l’emploi de ce court instant vous éclairera beaucoup sur le reste de mon administration.

Démosthène, Discours de la couronne, 169-173

L’alliance d’Athènes et de Thèbes contre la Macédoine

 

339. Alliance entre Athènes et Thèbes. Démosthène en 181-187 expose les agissements de Philippe. Il s’attaque, dit-il, non plus à des villes barbares mais à des cités grecques. Il est nécessaire, dans ce cas, qu’Athènes et Thèbes oublient leurs dis­cordes et s’unissent au nom de l’intérêt commun.

[188] Αὕτη τῶν περὶ Θήβας ἐγίγνετο πραγμάτων ἀρχὴ καὶ κατάστασις πρώτη, τὰ πρὸ τούτων εἰς ἔχθραν καὶ μῖσος καὶ ἀπιστίαν τῶν πόλεων ὑπηγμένων ὑπὸ τούτων. Τοῦτο τὸ ψήφισμα τὸν τότε τῇ πόλει περιστάντα κίνδυνον παρελθεῖν ἐποίησεν ὥσπερ νέφος.

[188] Ainsi commença et fut fondée l’union d’Athènes et de Thèbes. Jusque-là, les traîtres avaient poussé sourdement les deux Républiques à la haine, à la défiance : par ce décret, le péril qui enveloppait notre ville se dissipa comme un nuage14. […]

Démosthène, Discours de la couronne, 188.

[140] Ἀλλ’, οἶμαι, ἐπειδὴ Φίλιππος, αὐτῶν ἀφελόμενος Νίκαιαν, Θετταλοῖς παρέδωκε, καὶ τὸν πόλεμον, ὃν πρότερον ἐξήλασεν ἐκ τῆς χώρας τῆς Βοιωτῶν, τοῦτον πάλιν τὸν αὐτὸν πόλεμον ἐπήγαγε διὰ τῆς Φωκίδος ἐπ’ αὐτὰς τὰς Θήβας, καὶ, τὸ τελευταῖον, Ἐλάτειαν καταλαβὼν ἐχαράκωσε, καὶ φρουρὰν εἰσήγαγεν, ἐνταῦθ’ ἤδη, ἐπεὶ τὸ δεινὸν ἥπτετο αὐτῶν, μετεπέμψαντο Ἀθηναίους, καὶ ὑμεῖς ἐξήλθετε, καὶ εἰσῇτε εἰς τὰς Θήβας, ἐν τοῖς ὅπλοις διεσκευασμένοι, καὶ οἱ πεζοὶ καὶ οἱ ἱππεῖς, πρὶν περὶ συμμαχίας μίαν μόνον συλλαβὴν γράψαι Δημοσθένην· [141] ὁ δ’ εἰσάγων ἦν ὑμᾶς εἰς τὰς Θήβας καιρὸς καὶ φόβος καὶ χρεία συμμαχίας, ἀλλ’ οὐ Δημοσθένης. Ἐπεὶ περὶ γε ταύτας τὰς πράξεις τρία τὰ πάντων μέγιστα Δημοσθένης εἰς ὑμᾶς ἐξημάρτηκε· πρῶτον μέν, ὅτι, Φιλίππου τῷ μὲν ὀνόματι πολεμοῦντος ὑμῖν, τῷ δ’ ἔργῳ πολὺ μᾶλλον μισοῦντος Θηβαίους, ὡς αὐτὰ τὰ πράγματα δεδήλωκε [καὶ τί δεῖ τὰ πλείω λέγειν;], ταῦτα μὲν τὰ τηλικαῦτα τὸ μέγεθος ἀπεκρύψατο, προσποιησάμενος δὲ μέλλειν τὴν συμμαχίαν γενήσεσθαι, οὐ διὰ τοὺς καιρούς, ἀλλὰ διὰ τὰς αὑτοῦ πρεσβείας

[140] Mais, sans doute, après que Philippe leur eut ôté Nicée pour la donner aux Thessaliens, que, traversant la Phocide, il eut rapproché de Thèbes la guerre qu’il avait d’abord éloignée de la Béotie ; qu’enfin, ayant pris Élatée, il l’eut fortifiée et y eut mis garnison ; voyant alors le péril à leurs portes, ils eurent recours à vous : vous sortîtes d’Athènes, vous entrâtes dans Thèbes tous en armes, infanterie et cavalerie, avant que Démosthène eût parlé d’alliance. C’était donc l’occasion, la crainte du péril, le besoin de votre alliance qui vous ouvrirent les portes de Thèbes, et non Démosthène : [141] car, pour ce qui est de la conclusion du traité, on vous causa, dans le cours de cette affaire, trois préjudices énormes. Voici le premier. Philippe semblait n’en vouloir qu’à vous, mais, en effet, il haïssait beaucoup plus les Thébains, comme l’événement le prouva ; et qu’est-il besoin d’en dire davantage ? Qu’a fait Démosthène ? il vous a dérobé cette connaissance importante ; et vous ayant fait accroire que vous seriez redevables de l’alliance qui allait être conclue, non à la conjoncture, mais à ses ambassades.

Eschine, Contre Ctésiphon, 140-141, trad. abbé Auger

La bataille de Chéronée : une victoire stratégique et tactique qui impose la domination macédonienne sur la Grèce

 

338. Prise d’Amphissa. Philippe, envoie une mis­sive à Antipater dans laquelle il di­t qu’il doit aban­donner le théâtre des opérations pour retourner dans le nord, une révolte des Odryses ayant éclaté en Thrace. Il s’ar­range pour faire tomber ce document aux mains de l’ennemi15. Charès tombe dans le piège. La surprise de l’at­taque de Parménion est totale16. Manœuvres diplo­matiques de Philippe auprès des Athéniens et des Thébains.

338. Les alliés prennent position à Chéronée17. Les forces sont égales. La victoire de Philippe est une victoire du commandement. La fuite simulée des Macédoniens pousse les Athéniens à se porter en avant, désorganisant ainsi leurs rangs. C’est dans cette brèche du dispositif grec que la cava­lerie conduite par Alexandre – il a 18 ans – se pré­cipite. Cette vic­toire est le résultat combiné de la tactique et de l’en­traî­nement : le combat en re­traite, qui a permis l’intervention décisive de la cavale­rie, est en effet particu­liè­rement difficile.

Paix de Démade. Philippe dans le Péloponnèse.

 

NOTES

  1. Elle fut attaquée en 341 par Philippe. Ce dernier, occupé par le siège de Périnthe, apprit que les assiégés recevaient des secours de Byzance. Il marcha sur cette cité avec une partie de ses troupes. L’arrivée de la flotte athénienne le contraignit à se retirer. Ce fait est mis en valeur par Démosthène comme exemple de ce qu’étaient encore capables les Athéniens.
  2. La cité des Locriens.
  3. Il s’agit des députés des cités grecques réunies en confédération politique et religieuse à Delphes ou aux Thermopyles. Parmi les représentants les plus importants des douze peuples qui forment cette association on compte : les Thessaliens, les Dolopes, les Achéens, les Béotiens, les Doriens, les Locriens, les Phocidiens. Ces derniers furent, en 345, remplacés par les Macédoniens. Depuis le Ve siècle, l’objet de l’assemblée était l’inten­dance du temple de Delphes et la célébration des Jeux Pythiques. Les Amphictyons sont liés entre eux par des serments. On trouve chez Eschine (Contre Ctésiphon, 109-110). Chaque tribu s’engageait à ne pas détruire les autres cités amphic­tyoniques et à ne pas intercepter les eaux potables. En principe, les Amphictyons doivent assurer l’exécution d’une sentence des hiéromnémons. S’il le faut ils doi­vent lever une armée. Dans les faits, les sentences ne sont respectées que quand une cité de grande influence y trouve des intérêts poli­tiques (voir Eschine, Contre Ctésiphon, 108 et 125-130). Les Amphictyons, en appelant Philippe à leur secours contre les Phocidiens accusés de sacrilège, préparèrent l’asservissement de la Grèce.
  4. Athènes est, depuis les choix stratégiques de Thémistocle et de Périclès, invulnérable par mer, alors que les côtes ma­cédoniennes sont exposées aux at­taques athé­niennes.
  5. Les représentants envoyés à l’assemblée par chacune des cités amphictyoniques. À cette époque ils ont la garde du ter­ritoire, des intérêts matériels du dieu. Lors de leur tournée d’inspec­tion annuelle ils s’assurent que le territoire consacré n’a pas été mis en culture, qu’on n’y a pas construit de maisons ou de moulins à huile ou a blé, qu’on ne lève aucun droit sur les pèlerins : tout cela pour respecter un ancien oracle de la Pythie (voir Eschine, Contre Ctésiphon, 108).
  6. Les pylagores(ceux qui parlent à l’assemblée des Thermopyles) sont élus à main levée par leurs conci­toyens (voir Eschine, Contre Ctésiphon, 114). Ce sont des orateurs, des hommes politiques. Ils assistent les hiéromnémonsdésignés, eux, par le sort, pour un an. Les hiéromné­monset les pylagoresse réunissent en as­semblée ou sunédrion. Les pylagoresdé­fendent les inté­rêts de la cité qu’ils représentent mais n’ont que voix consultative. Ils se retirent pour laisser les hiéromné­monsdélibérer et voter.
  7. Le vote avait sans doute été escamoté.
  8. Selon Eschine le territoire de cette cité avait été consacré à Apollon. Il accuse les Amphissiens de l’avoir occupé et cultivé.
  9. Personnage qui présidait à ce moment l’assemblée des Amphictyons.
  10. Chacune des dix tribus fournissait cinquante prytanes. Les Cinq-Cents formaient la Boulè. Chaque groupe de cin­quante administrait les affaires à tour de rôle pendant la dixième partie de l’année. Cette période s’appelait une prytanie.
  11. Sans doute pour que les flammes fassent office de signal pour les gens à l’extérieur de l’astu.
  12. Formule rituelle.
  13. Les Trois-Cents plus riches citoyens d’Athènes formaient la première symmorie, classe de citoyens répar­tis selon leur fortune pour l’établissement de l’impôt sur le capital en temps de guerre.
  14. Longin (Traité du Sublime, 29) cite cette phrase comme un modèle.
  15. Voir Polyen, IX, 11, 8.
  16. Frontin (Stratagèmes, I, 4, 13) attribue cette ruse au même Philippe, mais lors du passage de l’Hel­lespont gardé par les Athéniens.
  17. Chéronée est à trois jours de marche d’Athènes.
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