Y a-t-il une science du politique ? Les débats athéniens de l'époque classique

Paru dans : 
L'Homme et la Science, Actes du XVIe Congrès international de l'Association Guillaume Budé, Textes réunis par J. Jouanna, M. Fartzoff et B. Bakhouche, Paris, 2011, p. 183-193

I

Prométhée, dans le Prométhée enchaîné, se flatte d'avoir donné aux mortels "toutes les τέχναι (technai)" (v. 51). L'énumération qui précède cette affirmation mentionne les arts et techniques suivants : l'architecture, l'astronomie, le calcul, l'écriture, la technique de l'attelage, la navigation, la médecine, la mantique, l'extraction des minéraux. On ne trouve dans la liste ni la guerre ni la politique. Lorsque Protagoras, selon Platon, reprend le mythe de Prométhée dans le Protagoras, la liste des technai que Prométhée donne aux hommes avec le feu pour compenser l'oubli d'Epiméthée comprend tous les "savoirs nécessaires à la vie" (321 c-322 b), c'est-à-dire la religion, la parole, la technique du bâtiment, la fabrication des vêtements et des chaussures, l'agriculture, mais non la politique (dont l'art de la guerre est, dit Protagoras, une partie), et il faut une intervention spéciale de Zeus pour qu'elle soit donnée aux hommes. La notion de τέχνη (technè), on le constate, est très large en grec ancien, infiniment plus large que notre notion de "science", mais la question de l'inclusion de la politique (et, accessoirement, de la guerre) dans le champ de la technè est posée, implicitement dans le premier texte, explicitement dans le second.

Abordons la question par un autre biais. Quand l'expression πολιτικὴ τέχνη (politikè technè) apparaît-elle ? Le Thesaurus Linguae Graecae informatisé indique qu'elle est employée pour la première fois par Protagoras, dans le fragment DK 80 A 5 des Vorsokratiker, mais il s'agit en fait d'un passage de Platon, dans le dialogue que je viens de citer, le Protagoras (318 e-319 a). Le sophiste y revendique la maîtrise d'une compétence dont il dira un peu plus loin que c'est le cadeau de Zeus aux hommes pour éviter qu'ils ne disparaissent :

[Les autres sophistes] assomment les jeunes [c'est Protagoras qui parle] : au moment où ils viennent juste d'échapper aux technai, ils les y plongent à nouveau contre leur gré en leur enseignant calcul, astronomie, géométrie et musique —et tout en disant cela il jetait un regard vers Hippias. Auprès de moi, au contraire, il n'apprendra que ce qu'il est venu chercher. Ce savoir, c'est la bonne décision (εὐβουλία euboulia) dans les affaires privées comme dans les affaires publiques, c'est-à-dire savoir comment gérer au mieux sa maison et comment être le plus apte à diriger sa cité par les actes et la parole. — Est-ce que je te suis bien ? dis-je alors [c'est Socrate qui répond], selon moi, c'est de la politikè technè que tu parles et tu t'engages à former de bons citoyens (ποιεῖν ἄνδρας ἀγαθοὺς πολίτας). — Exactement, Socrate, c'est là l'engagement que je prends.

Dans ce qui est supposé être le premier emploi de politikè technè, on retrouve donc, ici appuyée sur une controverse avec Hippias, la séparation entre la politique et les autres technai. Mais il est surtout notable que ce soit Socrate (c'est-à-dire Platon), et non pas Protagoras, qui introduise l'expression, alors que Protagoras lui-même ne l'emploie pas ici, mais emploie seulement le mot plus vague euboulia. L'expression politikè technè est de fait, à notre connaissance, caractéristique de Platon, avant Aristote. Et si elle est ici employée dans le Protagoras, c'est pour mettre d'emblée le personnage de Protagoras en difficulté, puisque le dialogue tout entier posera la question caractéristique de la technè : la politique peut-elle s'enseigner ? (1) Dans ce passage, l'insistance de Socrate pourrait suggérer que cette expression, à la fin du cinquième siècle ou au début du quatrième siècle, n'était pas encore courante. Mais il faut corriger immédiatement cette remarque, car le Protagoras de Platon emploie ensuite à son tour, à plusieurs reprises, l'expression, et de façon prégnante, dans son mythe (322 b), avant de lui substituer l'expression πολιτικὴ ἀρετή (politikè arétè). Il peut donc aussi s'agir d'une innovation de la part du Protagoras historique, à moins que ces emplois supposés protagoréens ne fassent partie de la stratégie platonicienne, ce qui est fort possible (2).

Quoi qu'il en soit de l'origine exacte de cette expression, l'adjectif πολιτικός, lui, est attesté plus largement, et plus tôt. Il est formé sur πολίτης (politès), "citoyen", avec le suffixe -ικός (-ikos) qui indique l'appartenance et la relation et dont l'emploi se généralise d'une façon remarquable à la fin du cinquième siècle et au quatrième siècle, notamment dans la prose philosophique, et notamment pour désigner les technai (3). Le sens est donc : "relatif au citoyen", et, quand il s'agit du citoyen comme prototype, "relatif à la cité". On le trouve substantivé au neutre dès Hérodote, dans la bouche du roi Xerxès parlant à Démarate, à propos de Sparte : "si tout dans votre cité (τὸ πολιτικὸν ἐν ὑμῖν πᾶν) est tel que tu le décris" (VII, 103, trad. Legrand). Il s'agit ici, mot à mot, de "tout l'ensemble des citoyens [de Sparte]", et cela signifie leur nombre avant tout, mais aussi leur comportement et leurs lois, mentionnées par Démarate et par Xerxès. Thucydide, ensuite, emploie à nouveau le neutre pour désigner les affaires politiques en général : une seule fois au singulier, dans une tournure proche de celle d'Hérodote, περὶ τοῦ παντὸς πολιτικοῦ "pour l'existence même de l'Etat" (VIII, 93, trad. Weil (4)), et souvent au pluriel, comme dans ce passage fameux de l'Oraison funèbre de Périclès, à propos des magistrats d'Athènes : "une même personne peut à la fois s'occuper de ses affaires et de celles de l'Etat (οἰκείων ἅμα καὶ πολιτικῶν ἐπιμέλεια)" (II, 40, trad. J. de Romilly ; on pourrait, en mot à mot, traduire : "à la fois des affaires de sa maisonnée et des activités du citoyen"). Il est employé aussi au masculin, chez Andocide ou Antiphon. Celui-ci aurait écrit un Politikos (DK 87 B 72-76), titre qui peut signifier, si l'on sous-entend logos, "Traité relatif aux affaires de la cité", ou si on le prend, de façon moins vraisemblable, comme dans le dialogue platonicien du même nom, "L'homme politique".

Quand est créée l'expression πολιτικὴ τέχνη, elle peut donc renvoyer aux emplois de cet adjectif évoquant une compétence spéciale en matière de citoyenneté : τὰ πολιτικά, "les affaires de la cité" ou "les activités caractéristiques du citoyen", οἱ πολιτικοί, "les spécialistes des affaires de la cité" ou "des activités du citoyen" (ils sont aussi souvent désignés comme οἱ ῥήτορες "les orateurs publics"), ou encore οἱ πολιτικοὶ λόγοι, "les discours politiques", selon une expression qu'affectionne notamment Isocrate. La πολιτικὴ τέχνη désigne ainsi à la fois une connaissance spécialisée relative à la cité en général, et (par formation, πολιτικός étant construit tout simplement sur πολίτης, le citoyen) la technè relative à la citoyenneté, à l'appartenance à la cité. On comprend donc que Protagoras puisse, dans son mythe, parler, de façon équivalente, de la πολιτικὴ ἀρετή, avec un terme (arétè, "vertu" ou "excellence" politique) qui peut s'appliquer, sans contestation possible, à chaque citoyen pris individuellement. Dès la formation et les premiers emplois du mot, donc, le problème que présente le Protagoras se pose : la πολιτικὴ τέχνη est-elle propre au πολιτικός, au spécialiste du πολιτικόν et des πολιτικά, à l'orateur public, ou bien est-elle le propre de tout citoyen, en tant que πολίτης : dans ce cas, est-ce encore une technè que l'on peut enseigner ?

II

La définition et l'extension de la politikè technè chez les penseurs politiques du quatrième siècle sont un sujet extrêmement complexe, auquel des livres entiers ont été consacrés, et que je ne peux bien sûr aborder ici que très partiellement. Il faudrait étudier séparément, par exemple, la pensée de Platon, celle d'Isocrate, ou celle de Xénophon sur ce sujet. Mais ces trois Athéniens, et d'autres encore, ont appartenu aux mêmes cercles, notamment celui de Socrate, et élaboraient en partie leur pensée les uns par rapport aux autres. Je voudrais aujourd'hui insister sur ces rapports mutuels, négligés, parfois, dans la critique récente (5). Faute de temps, je me limiterai, à une exception près, à la relation entre Platon et Isocrate, en décrivant d'abord l'opposition frontale qui la caractérise largement entre deux "philosophies" politiques. Je résume ici d'abord des analyses, elles-mêmes rapides, que j'ai récemment présentées ailleurs sur les échos du Contre les sophistes isocratique dans le Gorgias platonicien, vers 390-385, puis sur la réaction isocratique du Sur l'échange, en 354/353 (6).

Dans le Protagoras, Platon réfute la prétention de Protagoras à enseigner ce que Socrate appelle la politikè technè, au moyen, d'une part, de la thèse, que Protagoras lui-même avalise d'une façon très remarquable, de l'universelle répartition de la vertu (ou excellence, aretè) politique, et donc de la compétence politique, et au moyen, d'autre part, de la thèse selon laquelle c'est la vertu (ou l'excellence) en général qui doit être science, et donc doit être enseignée, et non pas la simple vertu politique (7). Cette revendication de la nécessité de la science de la vertu, et donc de la connaissance du Bien pour fonder la connaissance de la politique, Isocrate, de son côté, la critique à son tour vigoureusement, à la fois en réfutant l'idée qu'il puisse s'agir d'une science réellement acquise (ainsi faisant, il critique Platon et l'Académie plus que Socrate), et en l'amalgamant à l'éristique, dans son Contre les Sophistes (et ce faisant, ce sont Socrate et ses disciples sceptiques qu'il critique). Les spécialistes des disputes (1), dit-il, "tentent de persuader (πείθειν) la jeunesse qu'en les fréquentant, elle saura ce qu'il faut faire et que grâce à cette science (ἐπιστήμη), elle sera heureuse" (3) ; ils croient "inculquer la vertu et la sagesse" (6) pour "posséder la science" (8). Dans la troisième partie du Contre les Sophistes, Isocrate défend son propre enseignement, sa "philosophie", en refusant à nouveau l'idée que les vertus puissent s'enseigner et faire l'objet d'une "science", et donc en s'attaquant à nouveau à certains Socratiques, dont Platon : "Que personne ne croie que je dise que la justice peut s'enseigner : j'estime qu'il n'y a absolument aucune technè qui puisse installer la sagesse et la justice en ceux qui sont mal disposés par la nature", même si "l'étude des discours politiques peut contribuer au plus haut point à y encourager et à s'y exercer" (21).

Platon, dans de nombreux dialogues, s'est efforcé de rompre l'amalgame isocratique entre Socrate et l'éristique, et notamment dans l'Euthydème. Et il contre-attaque en mettant en scène, dans le Gorgias, au moment de la fondation de l'Académie, la distinction que veut faire Isocrate entre sa "philosophie" de l'éloquence politique et les sciences d'une façon qui va jusqu'à la caricature : ce que lui, Platon, appelle, non pas la "philosophie", mais la "rhétorique", appartient, soutient-il, à l'univers des gens qui "ne savent pas", qu'il s'agisse de l'orateur persuadant le malade de boire son remède sans rien connaître à la médecine, ou du malade qui lui obéit (et lui obéit à lui plutôt qu'au médecin) sans rien connaître non plus à la médecine. Le Gorgias platonicien, en désespoir de cause, fait cependant une concession que refuse explicitement Isocrate : le bien, le beau et le juste, "cela aussi, on l'apprendra auprès de moi", finit-il par dire à Socrate (460 a), ce qui l'oblige à laisser la place à un jeune homme plus fougueux, Pôlos. Lorsque Pôlos a récusé la concession, Socrate peut dénier plus complètement encore à la "rhétorique" toute participation à la technè, en l'insérant dans le cadre général de la "flatterie", qu'il définit ainsi : "Elle me semble une pratique qui ne repose pas sur une technè, mais qui est le fait d'une âme inventive, courageuse, habile par nature à s'adresser aux hommes" (463 a). La description, ironique, joue vraisemblablement sur un passage du Contre les Sophistes auquel Isocrate tient beaucoup (16, repris dans le Sur l'échange XV, 194) : la parodie change la doxa visée par Isocrate (car, pour lui, on ne peut atteindre que la doxa en matière morale et politique) en devinette hasardeuse. Mais Socrate va plus loin encore : il distingue les deux technai se rapportant à l'âme (la politique, divisée en nomothétique et justice [ou, selon le texte retenu, dicastique]) et les deux technai se rapportant au corps (la gymnastique et la médecine) de leurs quatre contrefaçons flatteuses, qui ne sont que des ἐμπειρίαι (sophistique et rhétorique pour l'âme, toilette et cuisine pour le corps). La "rhétorique", désormais doublement distinguée de la "politique" par un domaine plus restreint et par une nature frauduleuse, est cantonnée, selon lui, à une "expérience", une "routine" : "Je ne l'appelle pas technè mais empeiria (...) Moi, je n'appelle pas technè ce qui est une pratique sans logos (ἄλογον πρᾶγμα)" (465a2, 465a5-6). Le refus isocratique de la tevcnh en matière morale est ici transformé, à propos de la "sophistique" et de la "rhétorique", et d'une façon pour le moins paradoxale, en absence totale de logos... Par contraste, la lente et longue formation politique des philosophes-rois, dans la République, comporte la science du nombre (VII, 522 c), la géométrie (526 c), l'astronomie (527 d, redéfinie ensuite à 529a dans sa véritable méthode), la stéréométrie (528 b ; elle doit plutôt passer au troisième rang...), l'harmonie (530 d, sœur de l'astronomie) et enfin la dialectique (531-532), avant même qu'ils ne se frottent aux réalités de la guerre et de la cité. Le Calliclès du Gorgias croit ridiculiser cet apprentissage, qu'il juge inutile et nuisible pour la pratique de la politique, dans une tirade fameuse sur le droit de la nature.

Le Sur l'Echange, quelque trente ans après le Gorgias, offre, dans sa seconde partie, une réponse à Platon. Le parallélisme entre les technai du corps et de l'âme y est simplifié en un sens bien différent. Chez Isocrate, l'art du pédotribe est seulement pour le corps ce que la "philosophie" est pour l'âme :

Lorsque les pédotribes prennent des disciples, ils enseignent à ceux qui les fréquentent les figures (σχήματα) qui ont été découvertes pour la lutte (ἀγωνία), et ceux qui s'occupent de philosophie, eux, expliquent à leurs disciples toutes les formes qu'utilise le langage. Quand il leur en ont donné l'expérience (ἐμπείρους, le substantif ἐμπείρία est aussi employé ensuite à plusieurs reprises : cf. 187, 188, 191, 192) et les leur ont expliquées en détail, ils les entraînent encore, les habituent à l'effort et les contraignent à réunir l'un à l'autre chacun des éléments qu'ils ont appris, afin de les posséder plus solidement et d'approcher de plus près les moments opportuns par leurs opinions. Les saisir par le savoir, ce n'est pas possible, car, dans tous les cas, ils échappent aux sciences. Mais les plus attentifs, les mieux capables d'observer ce qui se produit en règle générale, sont ceux qui les trouvent le plus souvent. Avec ce genre d'instruction et d'éducation, les deux groupes de maîtres peuvent faire progresser leurs élèves jusqu'à ce qu'ils s'améliorent et qu'ils aient les uns une intelligence, les autres des dispositions du corps supérieures, mais aucun des deux ne se trouve en possession d'une science qui donnerait à ceux qu'ils voudraient une aptitude à l'athlétisme ou à l'éloquence : ils peuvent certes y contribuer pour une part, mais ces capacités n'appartiennent dans leur ensemble qu'à ceux qui se distinguent par leur naturel et par leur entraînement (§ 183-185).

Le texte reprend exactement la thématique du Contre les sophistes. Mais le vocabulaire de l'exercice, de l'entraînement, de l'habitude exclut de façon de plus en plus explicite le vocabulaire de la "science" (ἐπιστήμη) et revendique celui de "l'expérience", cette empeiria sans logos pour le Platon du Gorgias. Ni du côté des élèves, ni du côté des professeurs, il n'y a "science", mais c'est simplement parce que la réalité visée par la philosophie est rebelle à une mise en forme scientifique : il faut le proclamer, estime Isocrate, et non le critiquer. L'opposition avec Platon est totale.

Un second passage du Sur l'Echange, plus célèbre encore, peut aussi, à mon avis, être lu par rapport au Gorgias. Il s'agit de l'éloge du logos. Juste avant cet éloge, en effet, figure un argument qu'on trouve dans la première partie du Gorgias, où la rhétorique était comparée aux arts de combat, et il est repris par Isocrate dans une perspective qui est celle de Gorgias lui-même (456 d-457 c). Si un disciple fait un mauvais usage de la technique qu'il a apprise, qu'il s'agisse du combat physique ou de la rhétorique, il faut condamner le disciple, non le maître, et, ajoute Isocrate, il faut même louer le maître. Voici le Gorgias de Platon : "Ce ne sont donc pas les enseignants qui sont pervers, et leur technè n'est ni responsable ni perverse pour ce motif, mais seulement, à mon avis, ses mauvais utilisateurs" (456d1-457c4), et Isocrate :

"Si après avoir appris à combattre en armes, au lieu d'utiliser son savoir contre les ennemis, on faisait la révolution et on supprimait un grand nombre de concitoyens, ou si des gens parfaitement instruits du pugilat et du pancrace ne se souciaient plus des concours, mais frappaient les passants, qui donc, tout en louant leurs maîtres, ne mettrait pas à mort ceux qui utilisent mal ce qu'ils ont appris ?" (§ 252).

Dans le Gorgias, Socrate ne réplique pas directement à cet argument, qui annonce ce qu'on a pu appeler l'attitude moderne à l'égard de la "science" : la "science" ne peut pas être la science du Bien, mais seulement la recherche des moyens rationnels pour obtenir tel ou tel but dans le monde des phénomènes. La double idéalisation socratico-platonicienne de la science, selon laquelle il y a une vérité qu'il faut chercher même si on ne la trouve jamais, et selon laquelle la science doit être la science du Bien, est ici refusée. Mais de cet argument, dans le Sur l'échange, Isocrate tire une conclusion qui mérite l'attention : en cas de mauvais usage, il faut condamner les mauvais usagers, donc il ne faut pas condamner... —on attendrait : "la rhétorique", mais Isocrate n'emploie jamais ce substantif. Il ajoute à sa place : il ne faut pas condamner les logoi. Et c'est ainsi qu'est introduit le fameux éloge du logos qu'Isocrate reprend à son Nicoclès (253-257). Juste après cet éloge, Isocrate se livre aussi à une reprise des polémiques du Contre les Sophistes qui visaient les éristiques, c'est-à-dire, pour lui, notamment les Socratiques, et auxquelles le Gorgias répondait.

Le contexte — ce qui précède et ce qui suit— renvoie donc, pour une part, au contexte du Gorgias et à la concurrence entre les philosophies de Platon et d'Isocrate. Isocrate introduit une modification décisive, en remplaçant l'éloge de la rhétorique —auquel le Gorgias de Platon se livrait— par l'éloge du logos. Il revient ainsi au Gorgias historique et à son Eloge d'Hélène, mais, surtout, c'est ainsi qu'il réduit immédia­tement à néant l'analyse platonicienne de la rhétorique comme routine, non-science et ἄλογον πρᾶγμα, une "pratique privée de logos" dans le Gorgias (465a6) : le logos est évidemment au cœur de la "philosophie" isocratique. La rhétorique disparaît chez Isocrate en s'identifiant aux logoi (au pluriel), puis au logos (au singulier), dont un polyptote décline l'infinie fertilité. Contre Platon, les différents usages du langage, public et réflexif (cf. ῥητορικός vs εὔβουλος), ne sont pas hiérarchisés ni séparés, ils se soutiennent l'un l'autre, sont équivalents.

Isocrate peut alors réintroduire la "politique", en rispostant aux critiques que les "éristiques" adressent aux gens qui, comme lui, pratiquent les "discours politiques" (260), forme suprême du logos. De qui s'agit-il ? Isocrate mentionne à la fois les spécialistes des "discours éristiques", de la "connaissance des astres", de la "géométrie", en une association curieuse, qui évoque l'école platonicienne avec d'un côté les dialogues socratiques, et de l'autre le programme des études philosophico-royales du livre VII de la République, et il se réfère ensuite aussi, en pratiquant un amalgame plus étonnant encore, dans une belle gradation ironique, aux "anciens savants" ou "sophistes" Ion, Alcméon, Parménide et Mélissos, et Gorgias lui-même. La définition positive de la sofiva et de la filosofiva isocratiques vient ensuite :

Puisqu'il n'est pas dans la nature humaine d'acquérir une science (ἐπιστήμη) dont la possession ferait savoir ce qu'il faut faire ou dire, je considère, en partant des possibilités humaines (ἐκ τῶν λοιπῶν), comme savants (σοφοὺς) ceux qui sont capables d'atteindre le meilleur le plus souvent au moyen de leurs opinions (ταῖς δόξαις), et comme épris du savoir (φιλοσόφους) ceux qui consacrent leur temps aux entraînements à partir desquels ils acquerront le plus rapidement une telle sagesse (φρόνησιν)" (§ 271).

L'opposition entre l'attitude de Platon et celle d'Isocrate sur la question de la science de la direction de l'Etat apparaît donc très profonde. Néanmoins, à d'autres égards, il faut introduire des nuances ou des correctifs. Dans le même passage du Sur l'échange, Isocrate détaille les bienfaits intellectuels, apprentissage de la concentration intellectuelle, sur des sujets difficiles, refus de la dispersion, que l'on peut tirer, à l'adolescence du moins, des subtilités et de la précision de l'astronomie et de la géométrie, malgré leur totale inutilité pour la vie morale et l'action politiques (265, cf. Panathénaïque 27-28). Cette prétendue philosophie n'est donc utile que comme apprentissage et non comme connaissance spécialisée, mais elle est utile pour cela. Si Isocrate réécrit la fameuse tirade de Calliclès contre l'inutilité de la philosophie pour la politique dans le Gorgias, c'est en la nuançant et supprimant son fondement immoraliste.

III

L'opposition entre Isocrate et Platon ne doit donc pas être trop durcie. Platon, de son côté, reconnaît aussi la nécessité de distinguer la politikè technè des autres sciences, arts et techniques. Mais il le fait très différemment, dans le cadre de sa conception idéaliste de la science. Au lieu de dire, comme Isocrate, que ce n'est pas une science tout en faisant l'éloge du logos comme fondement de l'humanité politique, il fait de la science politique une science supérieure, seule susceptible de connaître et de choisir à bon escient les conditions de son emploi.

Une première approche est observable dès l'Euthydème, où est abordé le problème de la "science" (epistèmè) dont l'acquisition serait correcte (288 d) : il faut que ce soit une science qui fournisse "à la fois une efficacité et la connaissance des conditions d'emploi de cette efficacité" (289 b), ce que ne permettent, dit Platon, ni la chrématistique (nous appellerions cela les sciences économiques), ni la médecine, ni aucune autre (289 a). Platon s'approche ensuite peu à peu de la politique : cette technè ne peut être non plus celle des fabricants de discours, ni celle des stratèges : les logographes ne savent pas trop comment utiliser leurs discours, et les stratèges sont comme des chasseurs qui, une fois le gibier atteint, ont terminé leur tâche. Il ne reste que la technè du roi ou du politique, qui est une et même chose (291 c), et qui, "comme le dit le vers iambique d'Eschyle [au début des Sept], est assise seule à la poupe de la cité, en pilote de toutes choses, à tout gouverner pour rendre toutes choses utiles" (291 d). Mais ce n'est pas parce qu'elle rend les citoyens riches, libres ou parce qu'elle les soustrait à la guerre civile, toutes choses qui ne sont pas des fins supérieures : c'est parce qu'elle rend les citoyens "savants et excellents" (292 c). Mais savants en quoi ? Socrate ne le sait pas et ne peut que radoter sans résultat (292 e).

Aristote inventa un terme pour caractériser la situation de la politique ainsi comprise. C'est une technè "architectonique" (E. N. I, 1, 1094 a-b), en ce sens qu'elle a pour fin le bien de l'homme et que lui sont subordonnées, à cette fin, par exemple, la stratégie, l'économie et la rhétorique. Entre l'Euthydème et Aristote, se trouvent, notamment, les analyses du Politique, qui précisent les conditions de la subordination, par rapport à elle, de trois tevcnai qu'on pourrait juger identiques à la "politique", ou proches d'elle, et qui le sont de fait dans la démocratie athénienne et dans beaucoup de cités grecques, deux qui sont mentionnées dans l'Euthydème, la "stratégique" ou technè du chef de guerrre et la "rhétorique" (pour une fois appelée curieusement rhètoreia comme chez Isocrate, 304 e), et une qui ne l'est pas, la "dicastique" ou technè des juges (8). Examinons ces trois cas.

"Lorsque les stratèges capturent une cité ou un camp, ils les livrent aux hommes politiques, car eux-mêmes ne savent pas comment user du résultat de leur chasse" (290 d). La technè du stratège, qui avait pu paraître un instant dans l'Euthydème une bonne candidate pour être la science royale, et dont à l'occasion Platon avait souligné la supériorité de compétence par rapport à la rhétorique (Gorgias 455 c), dépend donc de la politique, comme cela était indiqué brièvement dans le mythe de Protagoras à propos de "l'art de la guerre". Sur ce point, Isocrate, sans employer le même vocabulaire architectonique, serait d'accord. La place qu'il réserve dans le Sur l'échange (101-139) au stratège Timothée en témoigne : il en fait l'éloge en tant qu'il a été son élève, et en insistant sur les conseils que lui, le spécialiste des discours politiques, n'a cessé de lui prodiguer, dans la perspective d'une éducation politique du chef militaire, conseils que Timothée n'a malheureusement pas toujours suivis. S'il propose ses conseils au roi de Salamine de Chypre, dans son A Nicoclès, c'est exactement dans la même perspective que Platon, celle du "bon usage" (καλῶς χρῆσθαι) de la richesse et de la puissance (5) : "N'envie pas ceux qui ont acquis une très grande puissance, mais ceux qui l'utilisent de la meilleure façon" (26). Ces considérations d'Isocrate sont peu compatibles, remarquons-le, avec l'argumentation que nous avons vue chez lui à l'instant, et qu'il reprenait certainement au Gorgias de Platon, sur l'absence de responsabilité des maîtres à l'égard de l'usage que les disciples font de leur enseignement. Elles le rapprochent, en revanche, d'une conception idéaliste de la science. Ajoutons par parenthèse que, chez Platon, la subordination de la stratégique par rapport à ce que nous appellerions les sciences dures apparaît aussi ailleurs, dans le Philèbe (56 b) d'un autre point de vue, qu'il vaut la peine de mentionner ici : Socrate y insiste sur la part empirique, sur l'art de la conjecture, sur le rôle de l'entraînement qui caractérisent certaines manquant complètement ou partiellement de "nombre", de "mesure", ou de "poids", à savoir "la médecine, l'agriculture, la technè du pilote et celle du stratège".

Quant à la technè de l'orateur public, le problème se pose aussi à chaque fois de savoir dans quels cas, avec quelles personnes on choisira persuasion ou contrainte, et la solution ne peut venir de cette science particulière, elle relève de la politique (304 d-e). Ici, Isocrate n'est pas loin non plus, lui qui, d'une part, évite l'emploi du mot "rhétorique" et subordonne les procédés de la rhétorique à un but politique général, et, d'autre part, insiste tant, beaucoup plus même que Platon, sur la nécessité du respect du kairos pour l'efficacité des discours politiques. Mais pour lui, ce "moment favorable" n'a rien de scientifiquement déterminable.

Reste la subordination, nouvelle par rapport au Gorgias, de la technè des juges, qui est justifiée par le fait qu'ils ont pour seule fonction correcte d'être les gardiens des lois, et qu'ils sont donc sous la dépendance du politique et du roi, qui font les lois. Ne peut-on en rapprocher la mise en scène spectaculaire, par Isocrate, de son refus des tribunaux et de son choix des tâches plus hautes de la philosophie politique, au début de son Sur l'échange ? Et aussi l'importance que prend chez lui l'adéquation entre les "discours politiques" et une situation donnée à un instant donnée, indépendamment de toute considération des lois et des régimes ? A Platon lui-même cette subordination pose d'ailleurs un problème redoutable, que je ne peux que mentionner et qu'Isocrate évite, celui de la compatibilité entre la rédaction et la conservation des lois d'un côté, et l'exercice scientifique du pouvoir politique de l'autre.

En somme, je soutiendrais volontiers que, en ce qui concerne la délimitation de la science politique, Platon et Isocrate partagent le même sentiment : à eux seuls, les savoirs techniques qui fondent l'art politique dans la pensée commune, à savoir la technè du juge, celle du stratège, ou celle de l'orateur, ne suffisent pas. Mais l'un est en quête d'une science architectonique de l'action politique, tandis que l'autre voit seulement dans la connaissance du logos et la maîtrise du moment décisif les principes expérimentaux, qui ne peuvent être scientifiques, de l'action politique.

IV

À propos du dialogue que Platon consacre au Politique, Xénophon permet d'introduire un autre aspect des débats sur la science politique. Xénophon lui aussi considère que la politique est un savoir. Ce qui fait le roi ou le magistrat, dit-il par la bouche de Socrate, ce n'est ni le sceptre, ni le tirage au sort, ni la force, ni la ruse, mais de "savoir commander" (τοῦ ἐπισταμένου ἄρχειν, Mémorables III, 9, 10-11). Ce savoir, puisqu'il peut être transmis, vaut même mieux que l'exercice de ce savoir, comme le dit Socrate à Antiphon (ibid., I, 6, 15), et a donc des aspects architectoniques. Cependant, pas plus qu'Isocrate, Xénophon ne parle de politikè technè. C'est à peine si on trouve chez lui un emploi de politikè arétè, et, de façon notable, non plus à propos d'Athènes, comme le faisait Protagoras chez Platon, mais à propos de Sparte (Constitution des Lacédémoniens, 10). Ce qui caractérise Xénophon en fait, c'est qu'il sépare la question du pouvoir (archè) de la question de la cité (πόλις).

Déjà à propos des questions que posait Socrate, il distingue les deux : "qu'est-ce qu'une cité, qu'est-ce qu'un homme connaissant la vie en cité, qu'est-ce que le pouvoir sur les hommes, quel est l'homme apte au pouvoir sur les hommes ?" (τί πόλις, τί πολιτικός, τί ἀρχὴ ἀνθρώπων, τί ἀρχικὸς ἀνθρώπων; Mémorables, I, 1, 16). Ailleurs, il subordonne explicitement la politique à cette question plus générale de l'archè ou "pouvoir", ce qu'il appelle τὸ ἀρχικόν, "l'aptitude au pouvoir", dont il dit qu'il est "élément commun à toutes les pratiques concernant l'aptitude à la culture du sol, à la vie politique, à la vie de la maisonnée, à la guerre" (Economique, 21). C'est sa manière propre de rechercher l'élément architectonique qui est aussi l'objet de la quête platonicienne. Mais il le spécifie encore davantage. Au début de la Cyropédie, Xénophon évoque le grand nombre des régimes politiques de toute nature (démocraties, monarchies, oligarchies) qui ont été renversés, et le grand nombre des maîtres incapables de diriger leur maison. Inversement, chacun peut penser à la façon dont l'homme exerce son pouvoir sur un grand nombre d'animaux aisément et "avec leur accord" (ejqelouvsa"). La question du "pouvoir" est ici spécifiée comme pouvoir accepté. Il commence par en souligner la très grande difficulté, voire l'impossibilité, dans le cas des hommes. Mais ensuite, il déclare que le pouvoir exercé de fait, avec succès, par Cyrus l'Ancien sur des hommes très nombreux et très éloignés de lui, "avec leur accord", prouve la possibilité d'échapper à cette aporie, "si on l'exerce en connaissance de cause (ἐπισταμένως, Cyropédie I, 3). L'Economique aussi souligne le caractère quasi-divin qu'il faut posséder pour "exercer le pouvoir sur des gens qui l'acceptent" (τὸ ἐθελόντων ἄρχειν, XXI, 12).

Platon ne cite jamais Xénophon et Xénophon omet Platon dans sa liste des disciples de Socrate (Mémorables I, 2, 48), mais la première partie du Politique n'est pas sans rapport avec cette thématique. L'art politique y est appelé ἀγελαιοτροφική "art d'élever les troupeaux", avec une distinction entre les troupeaux humains et tous les autres (262 a). Mais, première différence, Platon rapproche, pour les critiquer toutes deux, cette distinction entre les hommes et les animaux de la distinction entre les Grecs et les Barbares (262 d-e), alors que Xénophon prend l'exemple d'un Barbare pour suggérer une réponse au problème du pouvoir en Grèce. Il y a une seconde différence. Platon ne maintient pas cette distinction entre troupeaux humains et troupeaux animaux, qui lui paraît fragile, dans la suite du dialogue, pour la raison qu'il faut distinguer, dit-il, animaux sauvages et animaux domestiques (263 c-264 a). Dans la Cyropédie, Xénophon, en revanche, n'envisage que les animaux domestiques. Cela impose un modèle unique du pouvoir, celui du berger sur son troupeau, celui de l'obéissance acceptée d'un homme sur les autres. Avant même le début de la narration, la possibilité de la résistance au chef est renvoyée aux marges du récit ; il faudrait déconstruire le récit (cela a été fait) pour y lire la violence d'une autorité tyrannique ; à l'inverse, il est construit pour montrer la réussite d'une autorité acceptée (9). Platon suit Xénophon sur ce point, dans le Politique, en constatant qu'il a omis de mentionner la distinction importante entre deux types d'autorité, l'autorité imposée par la force et l'autorité consentie (276 d-e).

Mais Platon appelle autorité politique ce que Xénophon nomme seulement autorité. Et la différence des moyens à employer pour obtenir le consentement apparaît à qui compare les Lois, — on est dans le cadre d'une cité, de lois précédées de longs préambules destinés à les faire accepter, d'institutions introduisant des doses (minimes) de démocratie avec le même but, de magistratures exerçant un contrôle étroit— et la Cyropédie —dans cet immense empire, le savoir politique suppose la délégation des tâches par sélection, pour le chef, des tâches les plus importantes, et un contrôle multiforme en relation avec le degré de dépendance par rapport au roi. Il reste que le savoir permettant l'exercice rationnel du pouvoir est fondé, aussi bien pour Xénophon et Isocrate que pour Platon, sur la vertu. Le débat sur la science politique et les techniques du pouvoir, par-delà les différences, reste, dans la Grèce classique, en grande partie inscrit dans la perspective de la connaissance naturelle et/ou acquise, empirique et/ou rationnelle, du Bien, et soumis à cette perspective.

 

Paru dans : 
L'Homme et la Science, Actes du XVIe Congrès international de l'Association Guillaume Budé, Textes réunis par J. Jouanna, M. Fartzoff et B. Bakhouche, Paris, 2011, p. 183-193

Programmes

Programme d'enseignement de complément de langues et cultures de l'Antiquité

  • La Grèce dans son unité et sa diversité, deux modèles de cité, Athènes et Sparte

  • Les pratiques des l'argumentation dans la Grèce et la Rome antiques

Programme d'enseignement optionnel de LCA en 1re

  • Objet d'étude : vivre dans la cité

Programme d'enseignement de spécialité Littérature et LCA 1re

  • Objet d'étude : la cité entre réalité et utopie

Spécialité Humanités, Littérature et Philosophie en 1re

  • Les pouvoirs de la parole

Notes

 

1 La deuxième partie de l'intervention de Socrate est elle aussi programmatique : s'agit-il de former de bons citoyens (selon la traduction que nous avons choisie) ou de rendre bons les citoyens ? d'enseigner la politique (dans le premier cas) ou la vertu (dans le second) ? Le texte admet les deux interprétations, que le dialogue ne cesse de croiser.

2 Démocrite (DK 68 B 157) l'aurait aussi employée, selon un texte (corrigé : πολιτικὴν est une correction de Reiske pour le texte des manuscrits πολεμικὴν) de Plutarque (Adv. Colot. 4, 1108 F), pour revendiquer la même compétence que Protagoras. Il est impossible de savoir qui est l'inventeur de cette formule. Le cas est, dans une certaine mesure, comparable à celui de l'expression, assez proche, ῥητορικὴ τέχνη, "technè de l'orateur politique", qui apparaît dans le Gorgias, mais qu'on rencontre aussi chez Alcidamas, où rien n'indique que ce soit une innovation.

3 P. Chantraine, Etudes sur le vocabulaire grec, Paris, Klincksieck, 1956, Anne Balansard, Technè dans les dialogues de Platon. L'empreinte de la sophistique, Academia Verlag, Sankt Augustin, 2001, p. 31-45 sur ce point (avec la bibliographie), où on trouvera aussi une étude approfondie de la question de la politique chez Platon.

4 On peut citer ici la note de Raymond Weil (Thucydide, La guerre du Péloponnèse, Livre VIII, texte établi et traduit par R. Weil, avec la collaboration de J. de Romilly, Paris, C.U.F., 1972, p. 80) : "C'est l'interprétation du scholiaste. Chez Thucydide, τὸ πολιτικόν n'apparaît pas ailleurs ; chez Hérodote, VII, 103, le mot signifie exactement "l'ensemble des citoyens", et finalement "la cité" (cf. la traduction de Ph.-E. Legrand), les deux notions ne se distinguant pas forcément". Cette substantivation, au neutre, de l'adjectif politikos, a pu servir à justifier l'existence d'un concept du politique ("das Politische" en allemand, notamment chez Christian Meier) : cf. mon article, "De Carl Schmitt à Christian Meier: Les Euménides d'Eschyle et le concept de ‘politique’ (‘Das Politische’)", Philosophie antique, 11, 2011, p. 151-174, repris dans: Eschyle, Les Choéphores, Les Euménides, Le Livre de Poche (Théâtre) n°32283, 2011, p. 183-214.

5 Pour ne prendre qu'un exemple, la récente Cambridge History of Greek and Roman Political Thought, éditée par Christopher Rowe et Malcolm Schofield en 2000 (et où l'on trouverra une abondante bibliographie), ne consacre que 12 pages à Isocrate et Xénophon réunis, contre 246 à Platon et Aristote, et n'établit que rarement des points de comparaison entre les trois penseurs.

6 Voir mon étude "Isocrate et le Gorgias de Platon", L'Information littéraire, 60, 2008, p. 3-9.

7 Sur la construction du dialogue, voir notre introduction à Platon, Protagoras, intr., trad. et comm. par M. Trédé et P. Demont, Paris, Le Livre de Poche, 22006.

8 C'est, dans le Gorgias, une des deux parties de la politique, avec la nomothétique (technè de la rédaction des lois), absente, non sans raison, dans le Politique.

9 Je renvoie ici à mon étude sur "L'enquête de Xénophon sur le pouvoir de Cyrus (Cyropédie, VII.5.57-VIII) : apories idéologiques et solutions narratives", Grecs et Romains aux prises avec l'histoire, ed. G. Lachenaud et D. Longrée, Presses Universitaires de Rennes, 2003, p. 189-201, et au livre sous presse de Melina Tamiolaki, Liberté et esclavage chez les historiens grecs classiques, à paraître aux Presses de l'Université de Paris-Sorbonne.

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