- On parle souvent de légende de Spartacus pour cet homme pourtant bien réel. Cependant, on a très peu d’informations sur lui.
- Ses qualités physiques combinées à une intelligence remarquable lui ont permis de se comporter comme un véritable chef de guerre.
- Thrace de naissance libre, soldat, prisonnier, esclave puis gladiateur, il a mené une troupe d’esclaves pendant plus de trois ans, affrontant plusieurs armées romaines, jusqu’à celles de Crassus et de Pompée.
- Le parcours de Spartacus et de sa troupe va du Pô au Nord jusqu'au bout de la péninsule au Sud, soit une grande partie de l’Italie.
- Les représentations sculptées de Spartacus, essentiellement du XIXe siècle, s’emparent du caractère rebelle du personnage en le figurant en train de briser ses liens, comme le montre le bronze de Denis Foyatier exposé au Palais des Beaux-Arts de Lille.
Il est difficile de retracer la vie de ce personnage historique. On trouve de manière partielle des faits qui concernent Spartacus chez les historiens Salluste, Tite-Live, Florus, Plutarque, et Appien. Mais certains passages ont été perdus. Il convient de reconstituer un portrait en partant d’une mosaïque incomplète. Les textes rapportent que l’homme est né en Thrace (aujourd’hui dans la péninsule des Balkans) et qu’il a mené une révolte d’esclaves extraordinaire entre 73 et 71 avant J.-C. ; celle-ci fut réprimée par le général romain Crassus.
Les origines de Spartacus
Il serait né aux alentours de 100 avant J.-C. Plutarque dans sa Vie des hommes illustres, (Marcus Crassus, 8) loue les qualités physiques et morales de Spartacus : « ἀνὴρ Θρᾷξ τοῦ Μαιδικοῦ γένους, οὐ μόνον φρόνημα μέγα καὶ ῥώμην ἔχων, ἀλλὰ καὶ συνέσει καὶ πρᾳότητι τῆς τύχης ἀμείνων καὶ τοῦ γένους ἑλληνικώτερος. » — « Thrace de nation et de race numide. C’était un homme d’une grande force de corps et d’âme, d’une douceur et d’une intelligence supérieures à sa fortune, et plus dignes d’un Grec que d’un Barbare. » (Traduction d’Alexis Pierron).
Ce court portrait résume bien qui il était. Originaire d’une région soumise à Rome, il aurait servi l’armée romaine, puis l’aurait désertée ou aurait rejoint des tribus rebelles pour s’opposer à elle. Fait prisonnier, il aurait été conduit à Rome en 75 avant J.-C., puis vendu comme esclave et acheté par un laniste, un propriétaire d’école de gladiateurs, à Capoue. Compte tenu des conditions de vie des soldats et des gladiateurs on peut en déduire que Spartacus devait avoir une force physique remarquable. Toutefois, nous n’avons pas de trace de ses éventuels combats menés dans l’arène.
La troisième guerre servile, des faits dignes d’une épopée
En 73 avant J.-C., Spartacus et environ soixante-dix esclaves de l’école de gladiateurs de Capoue s’échappent et se dirigent vers le Vésuve. Ils veulent alors fuir une condition désespérée. Ils volent sur le chemin des armes très variées, comme le raconte Plutarque ci-dessus, et forment une troupe effrayante sur les routes de Campanie. Les premiers hommes envoyés pour les arrêter sont tués ; ces esclaves, avec Spartacus et deux autres chefs gaulois à leur tête, installent alors un camp sur les pentes du Vésuve qui surplombent de riches propriétés agricoles et viticoles de la région. C’est alors que les esclaves de tous ces domaines environnants sont gagnés par cette envie de rejoindre la troupe formée. Ils se rebellent et arrivent sur les pentes du volcan chargés des provisions de leurs domaines. Ils sont alors des milliers.
Si Rome ne paraît pas troublée par cette troisième révolte servile (il y en a déjà eu deux en Sicile), elle envoie tout de même un général romain, Claudius, qui évalue la situation géographique du camp des esclaves : il organise un siège au pied du Vésuve pour forcer les rebelles à se rendre quand ils ne pourront plus se ravitailler. C’est sans compter sur le stratège Spartacus qui, à l’aide des sarments de vignes dont les esclaves disposent, fait construire des échelles solides qui permettent à tous les esclaves de descendre le Vésuve le long de parois inaccessibles et de regagner les plaines environnantes au cœur de la nuit. Sur leur passage, ils tuent et dépouillent tous les soldats romains qui montent la garde : la troupe formée est maintenant une véritable armée, qui inquiète alors Rome, dont les grands généraux sont déjà en guerre en d’autres lieux. Le préteur Varinius et une armée sont finalement envoyés ; la bataille les mènera jusqu’aux Apennins, où Spartacus et ses hommes viennent à bout de l’armée romaine. Au cours des mois de combats acharnés contre Varinius, des premières tensions dans la troupe des esclaves se sont fait sentir. Toutes les tentatives des autres chefs gaulois pour mener des affrontements contre les romains se soldent par des échecs cuisants, contribuant à attribuer à Spartacus le mérite de la réussite de tout ce qui avait été entrepris jusque-là. Ses troupes se comptent alors en dizaine de milliers d’hommes.
Il est probable que Spartacus ait souhaité que tous les esclaves puissent rentrer libres chez eux. Mais les proportions importantes de son armée ont sans doute compromis ses aspirations. Souhaitant traverser les Alpes pour regagner la Gaule, il ne peut traverser le Pô en crue. Il choisit donc de repartir vers le Sud de la péninsule, pour rejoindre la Sicile. Mais Crassus, un nouveau chef romain vient compromettre les projets de Spartacus. Au terme de sanglants combats, Spartacus perd la vie sur le champ de bataille. Son corps n’est pas retrouvé. Pompée, revenu d’Espagne avec son armée fait massacrer des milliers d’esclaves. Les Romains ne font que quelques milliers de prisonniers, part minime de l’armée de Spartacus, tous crucifiés sur la voie Appia, comme pour dissuader un esclave de toute envie de révolte.
Spartacus brisant ses liens (1847)
Foyatier Denis (1793-1863), Lille, Palais des Beaux-Arts, © RMN-Grand Palais
La construction de la légende
Ce sont avant tout les historiens romains qui ont mis Spartacus sur un piédestal en rapportant ses exploits dans les textes. Dans la mesure où les armées romaines s'étaient trouvé en difficulté face à cette révolte, il semble qu'il était plus glorieux de donner à penser que l’homme à la tête la rébellion était extraordinaire, plutôt que laisser croire que Rome aurait failli.
Après l’Antiquité, c’est à partir du XVIIIe siècle que la figure du Thrace est référencée. "Il faut avouer que, de toutes les guerres, celle de Spartacus est la plus juste, et peut-être la seule juste". En citant Spartacus dans son Dictionnaire philosophique en 1764, Voltaire donne au personnage une épaisseur morale : en effet, Spartacus endosse le rôle de défenseur des droits humains. En 1861, il est cité par Marx, comme un « Grand général, un noble personnage vraiment représentatif du prolétariat de l'Antiquité. » En 1918 à Berlin, Rosa Luxemburg, fonde la Ligue spartakiste, un mouvement de révolte de travailleurs allemands.
Jean-Noël Castorio, quant à lui, nuance cette vision politique et morale de Spartacus, en avançant l’idée que le Thrace voulait certes libérer ses troupes mais sans toutefois initier un changement profond et réel de la société romaine dans laquelle l’esclavage était tenu pour naturel.
Enfin, la figure de Spartacus, par son aspect fascinant et provocateur, a été le sujet de nombreuses œuvres : films, série, romans, pièces de théâtre, ballet. Au cinéma, on citera notamment le peplum,( genre cinématographique de fiction historique ayant pour toile de fond l’Antiquité), Spartacus de Stanley Kubrick, sorti en 1960, quatre fois oscarisé. Ces différentes œuvres ont largement contribué à propager le mythe encore aujourd’hui.
Ce qu'écrit Plutarque :
Ἡ δὲ τῶν μονομάχων ἐπανάστασις καὶ λεηλασία τῆς Ἰταλίας, ἣν οἱ πολλοὶ Σπαρτάκειον πόλεμον ὀνομάζουσιν, ἀρχὴν ἔλαβεν ἐκ τοιαύτης αἰτίας. Λέντλου τινὸς Βατιάτου μονομάχους ἐν Καπύῃ τρέφοντος, ὧν οἱ πολλοὶ Γαλάται καὶ Θρᾷκες ἦσαν, ἐξ αἰτιῶν οὐ πονηρῶν, ἀλλ´ ἀδικίᾳ τοῦ πριαμένου συνειρχθέντες ὑπ´ ἀνάγκης ἐπὶ τῷ μονομαχεῖν, ἐβουλεύσαντο μὲν διακόσιοι φεύγειν, γενομένης δὲ μηνύσεως οἱ προαισθόμενοι καὶ φθάσαντες ὀγδοήκοντα δυεῖν δέοντες ἔκ τινος ὀπτανείου κοπίδας ἀράμενοι καὶ ὀβελίσκους ἐξεπήδησαν.
« C’est vers ce temps-là qu’eut lieu ce soulèvement des gladiateurs et ce pillage de l’Italie, qu’on appelle généralement la guerre de Spartacus : voici quelle en fut l’origine. Un certain Lentulus Batiatus nourrissait à Capoue des gladiateurs, la plupart Gaulois ou Thraces. Étroitement enfermés, non pour quelque méfait, mais par l’injustice de celui qui les avait achetés, et qui les forçait de donner leurs combats en spectacle, ils formèrent le projet de s’échapper, au nombre de deux cents. Le complot ayant été découvert, soixante-dix d’entre eux, informés à temps, prévinrent toutes les mesures, enlevèrent de la maison d’un rôtisseur des couteaux de cuisine et des broches, et se précipitèrent hors de la ville. »
Plutarque, Vie des hommes illustres, Marcus Crassus, 8, Traduction d’Alexis Pierron