Représentations et pratiques athlétiques féminines en Grèce ancienne 

Pour en savoir plus 

  • F. Villard, « Des jeunes filles qui courent : le concours des Heraia à Olympie », La Camera blu, 17, 2017 [en ligne]
  • F. Villard, « Les Spartiates, ces femmes auxquelles le sport a ôté toute morale. Étude sur un stéréotype du théâtre athénien de la guerre du Péloponnèse », Hypothèses 2017 – Travaux de l’École doctorale d’Histoire de Paris 1, 21, 2018 [en ligne]
  • F. Villard, « L’athlétisme féminin à Sparte. Un jeu politique entre contrôle et pouvoir des corps », Cahiers « Mondes Anciens », 16, 2022 [en ligne].
  • F. Villard, « L’éveil de l’amour. Les adolescentes grecques et le jeu du porteur », Clio, 55, 2022 [en ligne]

La question du sport féminin, un problème de l’époque contemporaine

La présence des femmes dans le sport moderne est récente, peu installée dans les mentalités et s’est obtenue de haute lutte. Au début du XXe siècle, le Comité International Olympique plaide encore contre une participation féminine aux Jeux olympiques, en dépit de leur présence effective aux rencontres de Londres et Stockholm. De même, si les manifestations olympiques actuelles sont largement ouvertes aux sportives occidentales, ces dernières souffrent d’un manque de reconnaissance plus important que leurs collègues masculins. Dans l’imaginaire collectif, les performances physiques sont encore difficilement associées aux femmes et aux jeunes filles. 

Dans un tel sujet de lutte, les pratiques physiques de la Grèce ancienne ont régulièrement été mobilisées pour débattre de la participation des femmes au sport contemporain. Pour défendre son opposition à une participation féminine, le rapport du Comité International Olympique de 1912 rappelait que « la question de l’admission des femmes aux Jeux olympiques » ne saurait être réglée « dans le sens négatif par le motif que l’Antiquité l’avait ainsi résolue », tout comme elle ne saurait être réglée « dans le sens affirmatif du fait que des concurrentes féminines ont été acceptées pour la natation et le tennis en 1908 et 1912 » (Revue olympique, n° 79, juillet 1912, p. 109). Ce faisant, le compte‑rendu trahissait l’axe de défense de certains opposants de l’olympisme féminin et, plus largement, du sport des femmes : l’absence de concurrente aux Jeux olympiques de la Grèce ancienne. 

 

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Beatrice Hill-Lowe, Archère irlandaise lors des Jeux Olympiques de Londres en 1908, © Wikimedia commons

La déclaration du rapport sur l’absence de femme grecque aux Jeux olympiques semble pourtant être partiellement malhonnête. Certes, les Grecques ne participaient pas à ces jeux. D’ailleurs, le lecteur qui cherche à trouver des figures féminines couronnées lors de jeux panhelléniques, jonglant entre leur maternité et leurs succès sportifs, tout en jouissant d’une indépendance légale et financière, doit s’attendre à être déçu. De telles femmes n’existent pas en Grèce ancienne. Pour autant, refuser l’accès des femmes de la Grèce ancienne à l’univers athlétique est également une erreur. Sur le stade du sanctuaire d’Olympie, des adolescentes disputaient, tous les quatre ans, une série de course en l’honneur d’Héra et ce ne sont pas les seules femmes grecques à soutenir une activité physique. 

Les adolescentes grecques et les pratiques athlétiques 

En Grèce archaïque et classique, les pratiques athlétiques, c’est-à-dire les activités à la fois gymniques et agonistiques, ne sont pas réservées aux citoyens masculins. Des femmes libres peuvent y participer. Ces dernières sont alors essentiellement des adolescentes non mariées, en grec parthenos ou korê. Certaines sont des héroïnes appartenant à des récits mythiques, d’autres des jeunes filles vivant dans les différentes cités grecques. Elles peuvent se défier dans des concours gymniques et des défis ludiques mobilisant des compétences physiques. Pour être attentif à cet effort physique des jeunes filles, il convient d’examiner trois éléments distincts : l’imaginaire, les actions et les projections idéales qui concernent les pratiques athlétiques des Grecques.

Des héroïnes athlétiques : Atalante et Cyrène 

Ainsi, au sein des traditions narratives, deux figures héroïques se distinguent par leurs exploits athlétiques : Atalante et Cyrène. Différents poèmes et vases des époques archaïque et classique évoquent ces défis. Le poème hésiodique du Catalogue des femmes raconte ainsi qu’Atalante défie ses prétendants à la course avec la bénédiction de son père. Seul Hippomène réussit à triompher d’elle grâce aux pommes d’Aphrodite. Quelques auteurs affirment également qu’elle prit part à l’expédition des Argonautes. C’est dans ce cadre que l’héroïne aurait lutté contre Pélée, lors des jeux organisés en l’honneur de Pélias au retour du voyage de Jason. 

 

Atalante

Atalante lutte contre Pélée, Hydrie chalcidienne polychrome attribuée au Peintre des Inscriptions, vers 540 avant J.‑C., Munich, Antikensammlungen, 596, © Wikimedia commons

De son côté, Cyrène lutte à mains nues contre un lion. Son histoire est notamment narrée dans le neuvième poème des Pythiques de Pindare. Aussi divers soient ces récits, ils permettent de constater que le domaine des pratiques athlétiques est ouvert aux héroïnes mais qu’il ne constitue pas un espace d’émancipation. Les histoires d’Atalante et de Cyrène se closent sur une union entre les protagonistes féminins et l’un de leurs prétendants, en dépit du refus initial d’Atalante. Elles témoignent de l’importance que les Grecs accordent à la présence d’une sexualité dans la vie adulte pour assurer le renouvellement des générations et la continuité des lignées. 

Des jeunes filles en action : course et jeux gymniques 

Dans les différentes régions grecques, les adolescentes participent quant à elles essentiellement à deux types d’activités gymniques et agonistiques. Tout d’abord, que ce soit en Élide, en Laconie, en Attique ou en Thessalie, les jeunes filles d’une même communauté politique ont la possibilité, avant le mariage, de s’affronter dans des compétitions de course organisées en l’honneur d’Héra, de Dionysos, d’Hélène ou d’Artémis. Ces défis sont mentionnés par divers documents, notamment la Description de la Grèce de Pausanias, des scholies et des lexiques byzantins ou encore des inscriptions. Ce sont des rencontres où les adolescentes prouvent leur rapidité et leurs compétences physiques. Elles semblent avoir au moins deux finalités principales. D’une part, elles constituent une preuve de l’appartenance et de l’intégration au sein de la communauté civique. D’autre part, elles honorent une divinité qui est sollicitée afin d’assurer la protection des participantes sur le chemin du mariage. Ces courses permettent ainsi autant d’obtenir une reconnaissance sociale que de garantir son propre équilibre, dans un moment de bouleversements physiologiques.

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La coureuse du Vatican, Copie hypothétique d’une statue honorifique pour une concurrente des Heraia, Statue en marbre de l'époque julio-claudienne, Rome, Musées du Vatican, 2784, © Wikimedia Commons

Ensuite, les adolescentes grecques se défient quotidiennement dans des jeux gymniques, c’est‑à‑dire des activités ludiques, et donc agonistiques, de nature physique. Les jeunes filles pratiquent notamment trois types de jeux : le jeu du porteur, les jeux de balle et le jeu de la bascule. Ils sont décrits dans des lexiques et peuvent être représentés sur des vases et des figurines en terre cuite des époques classique et hellénistique. Si ces activités témoignent de l’importance des pratiques athlétiques dans la vie des jeunes Grecques, l’étude fait également voir qu’elles possèdent une portée symbolique. À leur façon, les jeux étudiés évoquent la maturité physique et sexuelle des adolescentes, puisqu’ils sont tous liés au champ d’action d’Éros. 

Les cités rêvées de la gymnastique : la cité spartiate et la cité platonicienne

Enfin, dans la cité spartiate et la cité platonicienne, les pratiques athlétiques ne se résument pas seulement à des défis physiques mais s’intègrent dans une formation gymnique globale qui a une visée éducative à l’échelle de la cité. De même, ces activités sont imposées aux adolescentes mais, dans certains cas, les femmes mariées peuvent continuer à s’y adonner. Néanmoins, pour comprendre le sens de ces pratiques, il faut reconnaître que chacune de ces cités constitue un modèle comprenant une part plus ou moins importante de rêve. En effet, les deux constructions politiques sont inspirées par un idéal et les documents qui les présentent n’ont pas pour but premier de rendre compte d’activités réelles mais de renforcer, à leur manière, leur singularité sensationnelle. Ainsi, les pratiques gymniques des Spartiates sont essentiellement mentionnées par des documents athéniens de l’époque classique : deux pièces de théâtre (Andromaque d’Euripide et Lysistrata d’Aristophane) et un traité politique (Constitution des Lacédémoniens de Xénophon). Elles sont également décrites dans plusieurs écrits de Plutarque, qui sont composés plusieurs siècles après l’époque décrite (Vie de Lycurgue et Apophtegmes laconiens). Une fois les stratégies et les finalités de ces différents documents mises au jour, deux conclusions peuvent être formulées. D’une part, les jeunes Spartiates participent vraisemblablement uniquement à des activités de courses et à des exercices de force. D’autre part, leurs efforts semblent avoir une finalité politique : assurer une plus grande cohésion du corps civique spartiate face aux autres populations du territoire lacédémonien. 

De même, l’étude des modèles platoniciens permet de rappeler que ces derniers ne sont pas le témoin de la vie athlétique des femmes en Grèce ancienne mais qu’ils attestent du fait que l’athlétisme féminin est un sujet d’examen dans les discussions intellectuelles de la fin de l’époque classique cherchant à établir la meilleure façon de vivre. Dans La République et Les Lois, Platon décrit ainsi deux cités idéales où la gymnastique féminine est mise à l’honneur. Ces textes ne sont pas la preuve d’activités réelles mais permettent de montrer que les Grecs s’intéressent également aux pratiques athlétiques des jeunes filles dans le domaine de la réflexion politique. 

Ouvrir l’univers athlétique aux femmes grecques 

Il est ainsi possible d’affirmer que l’univers athlétique de la Grèce ancienne est ouvert aux femmes et n’est pas un domaine réservé aux hommes. Cette ouverture est restreinte mais elle existe, que ce soit dans les traditions héroïques, la vie des Grecques ou encore les constructions idéales de deux communautés politiques singulières. Concernant principalement les jeunes filles avant le mariage, les pratiques physiques possèdent souvent une symbolique érotique, parce qu’elles témoignent de la belle maturité physique des adolescentes. Loin d’être l’équivalent du sport contemporain, ces activités ne constituent donc pas, en Grèce archaïque et classique, un espace d’émancipation et de liberté, à l’image de ce que peut représenter le sport féminin contemporain. Pour autant, elles sont un moyen privilégié de comprendre l’existence des jeunes Grecques.

Pour en savoir plus 

  • F. Villard, « Des jeunes filles qui courent : le concours des Heraia à Olympie », La Camera blu, 17, 2017 [en ligne]
  • F. Villard, « Les Spartiates, ces femmes auxquelles le sport a ôté toute morale. Étude sur un stéréotype du théâtre athénien de la guerre du Péloponnèse », Hypothèses 2017 – Travaux de l’École doctorale d’Histoire de Paris 1, 21, 2018 [en ligne]
  • F. Villard, « L’athlétisme féminin à Sparte. Un jeu politique entre contrôle et pouvoir des corps », Cahiers « Mondes Anciens », 16, 2022 [en ligne].
  • F. Villard, « L’éveil de l’amour. Les adolescentes grecques et le jeu du porteur », Clio, 55, 2022 [en ligne]
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