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Dans la trilogie The Hunger Games de l’Américaine Suzanne Collins, un roman de science-fiction dystopique pour adolescents dont le succès a conduit à une adaptation cinématographique (2008-2015)2, les références gréco-romaines constituent la base de l’intrigue et occupent une grande place ; le nom du phénix n'y est jamais cité, mais l’ombre de son mythe plane sur toute l’œuvre, comme les lecteurs et les commentateurs l'ont bien vu.
Le phénix a subi nombre de métamorphoses : créature solaire égyptienne devenue l’emblème de l’éternité romaine et une icône de la résurrection chrétienne, l’animal unique et rare qui renaît périodiquement des flammes est apparu de plus en plus souvent dans les textes et les images à travers les siècles, se combinant aux temps modernes avec le feng huang oriental3, l’oiseau de feu slave4 et la simorgh persane5, et prenant des valeurs symboliques nouvelles, parfois à l'opposé des anciennes6.
Il a été vulgarisé dans la littérature pour le jeune public dès le début du XXe siècle avec le roman The Phoenix and the Carpet d’Edith Nesbit en 1904, puis celui de David and the Phoenix par Edward Ormondroyd en19577. Son succès a été renouvelé dans le manga-fleuve d’Ozamu Tezuka Hi no tori, littéralement « L’oiseau de feu », traduit par « Phénix » (1967-1988)8, où l’animal est un hybride du fend huang chinois et du phénix occidental, puis par la longue saga Harry Potter de J. K. Rowling, déclinée en plusieurs livres et films (1997-2011) : chacun connaît Fumseck, son allure de rapace impressionnant et son ardeur combative contre le monstrueux basilic9. La science-fiction a, elle, inventé pour sa propre mythologie des personnages mutants qui sont de sombres phénix (dark phoenix) au feu destructeur comme celui des dragons, et dont le plus célèbre est l’héroïne Jean Grey surnommée Phoenix, puis Dark Phoenix dans les bandes dessinées et films X-Men des Marvels Comics10,à partir des années 196011.
Dans le cycle The Hunger Games, de jeunes héros combattent un pouvoir tyrannique dans une Amérique conçue comme un nouvel empire romain. Certes, des mythes grecs informent l’intrigue et l’héroïne principale : la légende du minotaure et la figure de Diane chasseresse. Mais c'est par rapport à Rome que le phénix prend son sens, comme aussi d’autres références culturelles : la fameuse expression du poète satirique Juvénal panem et circenses, « du pain et des jeux (de cirque) »12, les cruels et sanglants combats de gladiateurs dans l’amphithéâtre, la révolte des esclaves conduite par Spartacus. C'est justement dans cette civilisation que le mythe du phénix s'est développé en se dédoublant : au Ie siècle de notre ère, d'une part, il devient sur les monnaies un emblème impérial, en concurrence avec l’aigle de Jupiter, comme annonçant l’heureux renouvellement des temps13, le début d'un cycle ; d'autre part les chrétiens l’adoptent comme preuve de la réalité de la résurrection des corps et le représentent sur les mosaïques de leurs églises14.
Le phénix est invisible dans l’œuvre de S. Collins : il n'y est jamais mentionné, mais il y est présent dans plusieurs figures, sous forme d'animal, sous forme de personnages et sous forme de symbole. Les couvertures et les affiches des livres et des films montrent un oiseau imaginaire inventé par l’auteur, le mockingjay, hybride de l’oiseau moqueur (mockingbird) et du geai bleu (blue jay), mais le titre du second tome comporte explicitement le mot « feu », l’élément indissociablement lié au phénix aujourd'hui15 : Catching Fire, littéralement « Prendre feu », d'où le titre français : L’Embrasement. De fait, l’héroïne porte des costumes de flammes et elle ressuscite, au moins figurativement, comme la créature antique. Mais par un nouveau symbolisme, cependant déjà présent chez J. K. Rowling, ce phénix incarne la lutte contre le mal et la victoire sur lui, qui permet l’avènement d'une nouvelle ère, censée être meilleure. L’oiseau est donc ici rebelle au pouvoir tyrannique en place, ce qui est une subversion révolutionnaire de l’ancien emblème officiel de l’empire romain. L’animal inoffensif et pacifique de la légende, qui était sans histoire ni action sur le monde, n'apparaissant tous les cinq cents ans que pour manifester la régénération cyclique de ce dernier, se transforme en guerrier qui fait l’histoire.
Cette image sous-jacente du phénix dans la série a certes été perçue, mais jamais analysée en profondeur. Nous étudierons la présence de cet invisible oiseau dans les animaux et les objets : mockingjay et broche de Katniss Everdeen, dans les noms, costumes et caractères des héros : Katniss, mais aussi Finnick Odair, et l’emploi de ce nouvel emblème pour signifier la quête révolutionnaire de justice et de liberté face à l’aigle insigne de la tyrannie du régime de Panem, dans une guerre des symboles ailés.
1. L’oiseau phénix et le Mockingjay
S’il n'y a pas nommément de phénix dans The Hunger Games, un oiseau y joue un rôle capital, le mockingjay, croisement improbable d'un oiseau moqueur, le mockingbird, créature réelle et familière, connue pour la variété de son chant16 et son talent d’imitateur, avec un robot appelé jabberjay, « le geai qui jacasse », créé par le pouvoir pour espionner le peuple en enregistrant ses conversations :
Jabberjays are a type of muttation that consist of all male birds that were created in the Capitol labs to spy on enemies and rebels of the Capitol. Jabberjays had the ability to memorize and repeat entire human conversations, and were used as spies, to gather words and information from the rebels.17

C’est un hybride assez invraisemblable18, mais là n’est pas la question. Sa seule existence prouve l’échec du régime à contrôler ses machines qui lui ont échappé et se sont dénaturées – ou plutôt ressourcées dans la nature. Ce nouvel animal nargue le Capitole, d'où la première partie de son nom, qui fait penser en France au « merle moqueur » de la chanson de Jean-Baptiste Clément Le Temps des cerises, devenue l’hymne de l’insurrection de la Commune de Paris en 187119.
Quand nous chanterons le temps des cerises,
Et gai rossignol, et merle moqueur
Seront tous en fête !
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux, du soleil au cœur !
Quand nous chanterons le temps des cerises,
Sifflera bien mieux le merle moqueur !
Le choix de l’appellation mockingjay est peut-être d'abord un hommage à un célèbre roman américain de 1960, To Kill a Mockingbird de Harper Lee, qui a obtenu le Prix Pulitzer en 1961 et est devenu un ouvrage classique iconique, adapté au cinéma en un film oscarisé et au théâtre. L’oiseau y est le symbole de l’innocence.
“I'd rather you shoot at tin cans in the back yard, but I know you'll go after birds. Shoot all the blue jays you want, if you can hit ‘em, but remember it's a sin to kill a mockingbird.” That was the only time I ever heard Atticus say it was a sin to do something, and I asked Miss Maudie about it. “Your father’s right,” she said. “Mockingbirds don’t do one thing but make music for us to enjoy. They don’t eat up people’s gardens, don’t nest in corncribs, they don’t do one thing but sing their hearts out for us. That's why it’s a sin to kill a mockingbird.” 20
La créature nouvelle est un petit oiseau d’allure assez quelconque, et seule sa faculté d'imitation rend son chant remarquable. Elle est pourtant une figure du phénix, même si physiquement elle est a priori à l’opposé de ce dernier, décrit comme un rapace rouge et or par l’historien grec Hérodote21 et dont les poètes ont fait un roi de la gent ailée aux magnifiques plumage et ramage22. Cependant, si ce mockingjay porte la crête du geai bleu, la crête est aussi un des attributs du phénix, empruntée au coq, roi de la basse-cour23.
Ce mockingjay-phénix est surtout présent dans l’œuvre non en chair et en plumes, mais sous la forme d'une broche portée par l’héroïne : s'inscrivant dans un cercle, il tient une flèche en son bec. La flèche n'a rien à voir avec le phénix, elle renvoie à l’arme favorite de l’héroïne Katniss en tant qu'archère ou sagittaire : ce que signifie son prénom, nous le verrons. On sait qu’elle braconne avec un arc pour nourrir sa famille, avant de l’utiliser en tant qu’arme de guerre. Le cercle de la broche a été interprété comme une cible (nous le dirons plus loin), puisque la jeune fille est victime des attaques du pouvoir. Mais, contrairement à la flèche, le cercle fait sens par rapport à la légende et à l’iconographie du phénix. Oiseau solaire, il porte en Égypte le disque de l’astre sur la tête, tandis qu'à Rome, il se perche sur le globe terrestre pour le dominer, tout en étant inscrit dans le cercle d'une monnaie et parfois aussi dans celui du zodiaque24.
Dans la trilogie, le bijou, doré quoique terni par le temps, prend la seconde couleur du phénix : le rouge, quand son dessin est montré tagué par les rebelles sur les murs de la capitale. L’héroïne l’aperçoit brièvement par la fenêtre du train dans lequel elle y arrive. Ce bijou est donné à Katniss par son amie Madge25, fille du maire du District, comme un talisman : c’est pourquoi son styliste Cinna le glisse dans ses vêtements au moment des premiers jeux auxquels elle participe. Or, les Anciens faisaient rimer phoenix avec felix, « heureux, chanceux », car ils lui conféraient superstitieusement un pouvoir de porte-bonheur26.
Dans son évolution graphique sur les couvertures et les affiches des livres et films de la saga, on constate que le livre I est noir comme la misère de l’oppression et de la famine, avec la broche de Katniss en signe d'espoir ; le livre II est rouge comme le feu de la guerre, le cercle est une cible, et Katniss la victime désignée ; le livre III montre le bleu du ciel diurne, le cercle qui enfermait l’oiseau comme une cage a disparu, il est libre. C’est que le cercle vicieux des jeux de la faim cycliques est enfin brisé. Dans les rééditions, les mêmes couleurs sont employées avec une légère différence, et les couvertures des DVD montrent plus clairement un oiseau de feu27. Les titres anglais des tomes II et III associent d'ailleurs explicitement le feu et un oiseau : Catching Fireet Mockingjay, mais ce lien étroit disparaît dans la traduction française — L’Embrasement et La Révolte.
L’interprétation de cette image peut cependant diverger selon la culture et les goûts du lecteur ou spectateur : certains fans voient dans le cercle l’anneau d’or magique et convoité du roman de Tolkien Le Seigneur des Anneaux. De fait, comme l’auteur des images des couvertures, l’illustrateur Tim O'Brien, le raconte, « le cercle à l’arrière-plan a d'abord été conçu comme une horloge, puis un anneau de feu, avant d'évoluer en cible ».28
2. Les personnages phénix : noms, costumes et caractères
2.1. Katniss Everdeen
Le nom de Katniss Everdeen n'a rien à voir avec le phénix éternel, bien qu'il contienne le mot « toujours », en anglais ever. Suzanne Collins a indiqué elle-même sa provenance et référence : elle a dit avoir tiré ce nom d'un personnage de Thomas Hardy, Bathsheda Everdene, dans Far from the Madding Crowd (1874)29. Pour le prénom, katniss est l’appellation populaire d'une plante aquatique comestible, la Sagittaria, ou « tête de flèche ». De fait, l’arc est l’arme favorite de la jeune femme, à la chasse, puis à la guerre. Ce prénom la définit comme une Diane chasseresse. De plus, « tirer une flèche » peut se dire en anglais aussi bien fire an arrowque shoot an arrow, et elle tire parfois des flèches enflammées ou explosives.
Sa première apparition comme « la fille en feu » au livre I n'est pas explicitement liée au phénix, mais au charbon, en tant que tribut du District douze, la région minière dont elle est originaire, même si l’héroïne se décrit elle-même comme solaire, tel le phénix oiseau sacré du soleil dans les flammes de son apothéose : « Le moindre mouvement donne l’impression que je suis enrobée dans des langues de feu. Je ne suis pas jolie. Je ne suis pas belle. Je suis éblouissante comme un soleil. »30 Cependant, quand elle porte une robe de feu et étend des ailes lors d'un show télévisé, on lui dit : « You are the mockingjay ». Elle devient alors visiblement le phénix et le chef de la rébellion défiant le gouvernement31.
Le numéro douze de son District32 entre d'ailleurs aussi en résonance avec le mythe ancien de l’oiseau, qui symbolisait le retour de l’année solaire de douze mois, soit le nouvel an égyptien à la survenue de la crue du Nil, soit la grande année astronomique des savants, sothiaque ou autre33 ; dans l’iconographie, son nimbe comporte souvent douze rayons solaires. Ce chiffre sacralisé se rencontre dans bien des croyances astrologiques et religieuses, des douze signes du zodiaque et des douze dieux olympiens aux douze tribus d'Israël et aux douze apôtres du Christ. Autre référence chrétienne : un des deux jeunes héros amoureux de Katniss, Peeta Mellark (dont le nom est en partie celui d'un oiseau : lark, « alouette »), un fils de boulanger, porte un prénom qui renvoie, a-t-on dit, non seulement à la galette grecque homophone pita, mais encore à Peter, « Pierre », compagnon du Christ, un des apôtres et le successeur désigné34. Au début de l’histoire, Peeta offre du pain à Katniss, ce qui, au-delà de l’allusion interne immédiate à la question fondamentale de la nourriture dans l’intrigue des « Jeux de la faim » et à la capitale de l’empire Panem, évoque la pratique chrétienne du partage du pain qui est aussi le corps du Christ dans le mystère de la transsubstantiation pendant la sainte communion. Le couple Katniss et Petaa figure donc une sorte de phénix messianique à deux têtes35, l’entité par qui adviendront le salut et la renaissance, mais un phénix profane puisqu'il n'y a pas de religion dans le monde de The Hunger Games, ni d'ailleurs de phénix dans la Bible36. Des galettes sont estampillées par leurs partisans de l’image du mockingjay comme l’hostie consacrée peut être frappée de la croix37. Mais la caractérisation psychologique des personnages n'est pas pour autant manichéenne : Peeta est ambivalent, à la fois initialement une figure de Pierre, bras droit et successeur désigné de Jésus, et temporairement une figure du traître Judas, puisque, drogué par le pouvoir, il se retourne contre Katniss et cherche à la tuer avant de recouvrer ses esprits.
Un autre rapport, certes moins évident, peut d'ailleurs être établi entre le phénix et la nourriture : son ancêtre égyptien le bénou, héron cendré du Nil, est le hiéroglyphe du débordement annuel du grand fleuve et de la profusion des récoltes alimentaires qu'il engendre, sous le nom de « héron de l’abondance », accompagnant le dieu de la crue Hapy, à rapprocher de la cornu copia, la « corne d'abondance » gréco-romaine qui, dans la saga, s'offre aux participants des jeux comme source d'aide matérielle38.
Enfin, tel le Christ et tel l’oiseau mythique, Katniss semble mourir dans le dernier livre de la série, mais revient à la vie, grâce à son gilet pare-balles et elle reçoit des greffes de peau pour soigner ses brûlures. Mais elle ne prône ni l’amour, ni la paix : c’est une guerrière dont les combinaisons moulantes qu'elle porte dans les films évoquent aussi l’ambivalente héroïne de science-fiction Jean Grey, dans la Dark Phoenix Saga (« La Saga du Phénix noir ») des Marvel Comics, qui passe du vert au rouge quand son pouvoir surnaturel se déchaîne, puis au noir quand il devient maléfique. Symboliquement, le rouge et le feu de Katniss s'opposent évidemment à la glaciale blancheur du président Snow, couleur de la neige et de ses roses favorites.
2.2. Finnick Odair
Le phénix est en principe unique, mais la figure de l’oiseau légendaire se dédouble dans The Hunger Games, également revêtue par un autre personnage, masculin : Finnick Odair39, même si l’on peut voir aussi en lui un Ulysse, un Ganymède et un Orphée40. Bien qu'il soit du signe de l’eau de par son District, celui du poisson, de par son arme : un trident qui en fait un Poséidon-Neptune face à Katniss Artémis-Diane, et de par sa mort par noyade. La première syllabe de son prénom, fin-, est un mot qui désigne la « nageoire » du poisson (ou la « palme » du plongeur) en anglais41. Comme le phénix, le poisson est un symbole animal du christianisme, le plus ancien attesté : son nom grec ichthuscorrespond aux lettres initiales de l’expression « Jésus-Christ fils de Dieu sauveur », il est donc l’acronyme de Ἰησοῦς Χριστός Θεοῦ υἱός σωτήρ, Iésous Khristos théou uios sôter42.

Mais le nom Finnick, d'origine anglaise, qui signifie sans doute « ferme des marais » (fenwick)43, possède également une consonance et une graphie homophone et homonyme de « phénix ». Un grand auteur de langue anglaise, James Joyce, avait déjà joué de l'homophonie d'une part entre le mot phénix et un nom d'homme, d'autre part entre le nom de l'oiseau de feu et un mot évoquant l'eau. Dans son œuvre Finnegans Wake44, au titre inspiré d'une chanson irlandaise à boire du milieu du XIXe siècle dont le héros tombé d'une échelle ressuscite quand on l'arrose de whisky, se rencontrent les personnages Tim Finnegan et Finn Mac Cool, et un lieu historique portant le nom de l'oiseau : le Phoenix Park de Dublin. Dans ce dernier cas, phoenix résulte de la mauvaise compréhension du mot irlandais fiunishgue, translittéré en feenisk, désignant une source, littéralement « eau claire »45.
Finnick Odair est lui aussi associé à une sorte de résurrection : celle de Peeta, auquel il fait du bouche à bouche et un massage cardiaque dans le tome II – alors que Katniss n'a pu ressusciter la jeune Rue au livre I.
Le personnage meurt au combat, après une vie de malheurs : il n'aura pas été un phoenix felix, ou bien il l’aura été très peu de temps, sur la fin de sa vie. Mais il laisse une épouse, Annie Cresta. On peut voir en son nom la « crête » d'une vague46. Nous y voyons plutôt la fille à la « crête », crista en latin, une crête qui est un des attributs du phénix, et peut-être même « la Christ », en tant que féminin phonétique de Chrestos, « le Christ » en latin47. Enceinte, elle mettra au monde un fils (pas une fille), conçu par son mari, c’est-à-dire un autre lui-même, un petit Finnick, comme dans le mythe de l’oiseau. Le père est brun, mais la mère et l’enfant sont tous deux roux, une couleur de cheveux certes fréquente chez les Anglo-Saxons, mais qui mêle le rouge et l’or du phénix – Jean Grey le Phoenix a d'ailleurs également une chevelure rousse flamboyante, qui s'enflamme quand elle mute. Outre, Katniss et Peeta à la toute fin de la trilogie, Finnick est le seul des protagonistes à devenir parent.
Le nom de Finnick est donc tout aussi programmatique que celui du personnage de Sénèque qui est contraint par le déterminisme de sa dénomination-même au suicide : la famille Odair est pour ainsi dire un phénix en trois corps, avec un arrière-plan vaguement réminiscent du christianisme.
3. La guerre des symboles ailés : le phénix contre l’aigle
L’oiseau est généralement synonyme de liberté de par sa faculté d'envol, et l’invisible phénix de The Hunger Games prend aussi cette valeur, puisque le combat de la rébellion menée par Katniss a pour but de libérer le pays de la tyrannie du Capitole. L’idée n'est pas nouvelle car on trouve déjà dans la saga Harry Potter, en plus d’un réel oiseau phénix nommé Fawkes (Fumseck en français)48, un « Ordre du Phénix », cette confrérie de bons sorciers en lutte pour sauver le monde de la menace du malfaisant Voldemort. Le concept est d’ailleurs emprunté à de vrais ordres chevaleresques ou honorifiques des derniers siècles, en Allemagne et en Grèce ; le phénix était dans ces cas un avatar de l’antique aigle romain qui se retrouve dans l’héraldique de bien des empires.
Mais il faut attendre le XXe siècle pour voir un phénix au combat, tel Fumseck contre le monstrueux basilic au tome II du cycle de J. K. Rowling, et la saga de Collins pour le voir combattre contre un aigle capitolin également emprunté aux Romains, même si quelques poètes anciens avaient déjà montré l’oiseau légendaire comme un roi, un empereur ou un général, dans sa majesté, mais jamais en lutte49. À Rome, l’aigle et le phénix, deux rapaces, étaient tous deux des emblèmes officiels du pouvoir, l’un ancien, compagnon du souverain des dieux Jupiter, l’autre récent, lié à la divinité du soleil, mais appartenant au même camp50. En outre, la créature antique était inoffensive, presque sans contact avec les hommes, ne jouant aucun autre rôle dans le monde que celui de présage favorable par ses rares apparitions. Mais elle est devenue aujourd’hui, entre autres métamorphoses, un « sombre phénix » avec l’invention du personnage de science-fiction Jean Grey des X-Men, irradiée par une tempête solaire et possédée par une force cosmique maléfique à cause de laquelle elle commet un génocide51. Comme créature du feu, le phénix peut emprunter des traits au terrible dragon cracheur de flammes.
Dans The Hunger Games comme dans Harry Potter, un « Ordre du Phénix », implicite dans le premier opus, explicite dans le second52, fédère et incarne l’opposition au pouvoir en place, par une inversion du statut antique de l’oiseau qui trônait officiellement aux côtés de l’aigle impérial. À Panem, ce dernier rapace est bien sûr l’emblème du Capitole, à la fois le Capitole américain et le Capitole romain qui l’a inspiré, à la fois pygargue à tête blanche (bald eagle) et aquila du temple de Jupiter capitolin, des enseignes des légions romaines et des monnaies de l’empire.
L’image du mockingjay tenant une flèche dans un cercle, qu’on voit tagguée sur les murs, est donc la marque des rebelles53 et le repoussoir des armoiries de Panem montrant l'aigle tenant, comme à Rome, les foudres jupitériens dans une couronne non pas de lauriers, mais d'épis de blé, pour rappeler le pain signifié par le nom de la capitale et l’importance primordiale de la question de la nourriture dans l’histoire. Les deux oiseaux sont cependant liés par un destin commun car le feu du phénix se propage.
Pour conclure, l’invisible phénix de The Hunger Games tire ses origines de diverses sources, antiques et modernes. La saga montre la connaissance qu'a l’auteur des humanités classiques autant que des œuvres de divertissement d'aujourd’hui54, et elle révèle son talent à exploiter le potentiel créatif d’un mythe toujours en expansion.
Le phénix de Suzanne Collins se reconnaît sous les espèces du mockingjay, emblème de la rébellion et au premier chef de son instigatrice d'abord involontaire, l’héroïne, la « fille en feu » qu'il symbolise. « L’association toujours plus étroite entre Katniss Everdeen et cette espèce hybride bio-modifiée d’oiseaux thématise des questions centrales de la théorie posthumaine, plus particulièrement le flou des frontières des espèces et les dangers potentiels pour la société posés par la technologie avancée »55. Mais nous voyons aussi un phénix dans le personnage secondaire Finnick Odair, membre de l’« Ordre du Phénix » implicite qui se forme autour de Katniss comme autour de Harry Potter chez J. K. Rowling.
L’oiseau s’oppose ici à l’aigle officiel du Capitole, dont il était un emblème complémentaire, et non antagoniste, dans la Rome antique. Il possède aussi un discret arrière-plan chrétien, comme au temps de Rome, malgré l’absence de toute référence directe à la religion dans la saga, autour des thèmes du leadership charismatique et surtout de la résurrection, au sens propre ou au sens figuré.
Il est iconographiquement associé, mis à part la flèche (qui ne fait pas sens par rapport à lui), au cercle, attribut réminiscent du disque solaire égyptien d’une part, du globe terrestre, du zodiaque et des monnaies romaines d’autre part, qui célébraient le retour cyclique d'un âge d'or (saeculum aureum). Il est ainsi associé à la lumière du jour, au feu, au pouvoir, au renouveau des temps et à l’héraldique.
Son principal attribut, les flammes, se trouve littéralement sur les costumes du personnage principal montré comme un charbon ardent qui s'embrase, et figurativement dans son mouvement de révolte, un feu qui couve, qui gronde et qui éclate. C'est alors un phénix destructeur, tel celui de Jean Grey, le Phénix Noir (Dark Phoenix), dans les X-Men, mais ici pour la bonne cause, et il est finalement vainqueur et salvateur, comme l’est l’oiseau Fumseck dans Harry Potter.
L’œuvre de Suzanne Collins a sans doute elle-même inspiré la trilogie au bien moindre succès d'Elisabeth Richards, destinée à un public identique et où les allusions au phénix sont explicites : l’animal donne son nom au tome II56. Pas d'oiseau pourtant, mais un jeune vampire, appelé Ash Fisher,ce qui se comprend comme « Cendre Pêcheur » ou « pêcheur de cendre », même si « Ash »est donné comme le diminutif du prénom Ashton. Le héros est donc placé sous les mêmes signes que Katniss et Finnick : le feu et l’eau, ou bien le phénix et le poisson, en des contraires encore associés comme ils l’étaient pour les chrétiens. De même que la créature mythique, Ash est brûlé ; de même qu'un gladiateur révolté ou un condamné à mort romain, il est crucifié ; de même que le Christ, il ressuscite, ce qui lui vaut le surnom explicite de Phoenix au livre III, tandis que le prénom de la jeune fille qu'il aime évoque le thème de la naissance : Nathalie, de l’adjectif latin natalis. Chef des rebelles lui aussi, Ash utilise un canal radio nommé Firebird « oiseau de feu ». Et pour la bataille finale, il est suivi par les seuls douze compagnons qui lui restent, pour ainsi dire ses apôtres.
Pour revenir à The Hunger Games, la présence subtile d'un phénix en filigrane sous plusieurs formes et à plusieurs niveaux de lecture a-t-elle été perçue par le jeune public destinataire de l’œuvre comme elle l’est par le lectorat cultivé, celui qui a fait des études classiques et possède quelques notions de grec et de latin, telle Suzanne Collins elle-même, passionnée de mythologie dès l’enfance57 et dont le père, un Lieutenant-Colonel, avec un doctorat en Sciences politiques58, possédait dans sa bibliothèque et lui lisait les Vies parallèles des hommes illustres de Plutarque ?
I was such a huge Greek mythology geek as a kid, it’s impossible for it not to come into play in my storytelling. (...) [I had] a fascination with the gladiator movies of my childhood, particularly Spartacus. Whenever it ran, I’d be glued to the set. My dad would get out Plutarch’s Lives and read me passages from « Life of Crassus », since Spartacus, being a slave, didn’t rate his own book.59
Ou simplement le public qui a une certaine culture générale, puisque le phénix est devenu omniprésent dans notre monde actuel, en dehors même de la littérature ?
Si le guide pour les fans de V. Arrow fait l’impasse sur cet oiseau60, celui de Valerie Estelle Frankel y renvoie dans ses chapitres sur la mythologie et les noms des personnages. Elle y indique judicieusement que Katniss, d'abord transformée en phénix à son insu et à sa surprise par son styliste Cinna, finit par assumer cette image et ce rôle.
By the third book (...), she begins to claim her role as not only Mockingjay, but the embodiment of flame. She brings down the Capitol’s soldiers with flaming and explosives arrows, and then announces to the camera : “If we burn, you burn with us” (M 106). She becomes a leader fot the rebels, surrounded by the flames of war. When she's severely burnt at the end of Mockingjay, she retreats into dream, into madness, into a cocoon of silk where she feels she 's undergoing a metamorphosis. (...) Fire transforms everything it touches, from ceramic to metal. The mythical phoenix dies in a burst of flame and then is reborn, strong and vibrant. In this way, the fire transforms Katniss with “feathers of flames”, as she imagines them, growing from her body (M348). (...) She also sees that Peeta has gone through his own torment by fire and that they have become the same. In time, she reemerges as a grown woman, one ready to face District Twelve and the love that's waiting here.61
Sur les blogs en ligne, les remarques des fans concernent surtout la crédibilité ou l’originalité de l’intrigue, mais il est certain que le rapport avec le mythe du phénix a vite été établi.
Third thing I would like to point out is Peeta's and Katniss's outfits forthis institution. Again they are put into a fiery outfit and I believe it is a very obvious reference to the phoenix, which is a bird of lore, a fiery bird who rises again from the ashes, and the phoenix is a symbol of death and rebirth, it is a symbol of transformation and that is what Peeta and Katniss are here in their valiance to do, to be a symbol of transformation and revolution. Fire is a hugely powerful symbol, and it is a symbol of action and because of that, I think this will resonate because people are starting to wake up and understand the world they are living in is in the process of radical change. I mean, it is the beginning of a whole new century.62
Ainsi, dans le nouveau genre littéraire de la fan fiction, un concours a été rapidement ouvert sur Internet pour imaginer une suite à la trilogie The Hunger Games, un quatrième volet, précisément sous le titre de Phoenix63.
Ce n'est cependant pas une suite ; Suzanne Collins a publié en mai 2020 : The Ballad of Songbirds and Snakes (littéralement « La ballade des oiseaux chanteurs et des serpents »). Sur sa couverture se voit une nouvelle variante de l’oiseau et de son cercle. Comment ce serpent et cet oiseau tournés dans des directions opposées pourraient-ils ne pas faire penser aux deux symboles et mascottes antagonistes des « maisons » de l’école de Poudlard chez J. K. Rowling : celle des Slytherin « Serpentard »,menée par Draco Malfoy, c'est-à-dire le « dragon (autre créature du feu) de mauvaise foi », et celle de Harry Potter aux couleurs rouge et or : Gryffindor « Gryffondor », c'est à dire « griffon d'or », cet animal ayant le corps d'un lion, la tête et les ailes d'un aigle64, et qui est dans l’œuvre un autre avatar du phénix, incarnation du Bien en lutte contre le Mal ?
C'est ce qui a été logiquement supposé entre la publication anticipée de la couverture dès 2019 et celle du roman en 2020. Pourtant l'auteur a détrompé l'attente65 car cette supposition se révèle fausse : oiseau et serpent sont dans le nouvel opus les deux faces d'un même personnage, l'héroïne Lucy Gray Baird66. Si ses deux premiers noms sont tirés d'un poème anglais67, le second est homonymique de la X-woman Jean Grey, non de son côté sombre de Dark Phoenix, mais du côté de la « lumière » solaire du jour grâce au prénom issu du latin lux, lucis, féminin. Pour la prononciation et l'orthographe de son troisième nom, qui fonctionne comme le cognomen des tria nomina romains (c'est-à-dire le surnom, faisant suite au prénom et au nom de famille dans le groupe de trois noms portés par les citoyens à Rome) : Baird, qui est certes anciennement attesté en Écosse68 il renvoie autant à bard, « le barde » (son sens premier probable) qu'à bird « l'oiseau ». Si l'on y voit un mot-valise, il s'agit d'un « bardoiseau », et, de fait, le personnage est une chanteuse appartenant à un groupe de spectacles plus ou moins familial appelé Covey, c'est-à-dire « une compagnie d'oiseaux en vol »69. Lucy a un amour particulier pour les mockingjays qu'elle ne veut voir ni chasser ni tuer. Mais, comme charmeuse de reptiles, la jeune femme évoque également pour l'Antiquité une déesse aux serpents d'époque minoenne en Crète, le pays de ce labyrinthe qui a largement inspiré l'intrigue de la trilogie. Cette divinité était peut-être une forme de la potnia thèrôn grecque, « maîtresse des bêtes sauvages ». Les représentations les montrent toutes deux vêtues d'une longue jupe volantée et/ou bariolée comme celle de Lucy, la dernière ailée, la première brandissant un serpent dans chaque main70. Cet animal possède plusieurs symbolismes anciens, positifs autant que négatifs, dont celui d'incarner le renouveau, comme le phénix, puisqu'il mue, quittant son ancienne peau pour en revêtir une nouvelle71. Le serpent se révèle être l'arme fatale de Lucy, utilisé à la fois contre ses compétiteurs dans l'arène pendant les Jeux et peut-être aussi — le récit est volontairement elliptique sur ce point — contre le jeune Coriolan Snow, son mentor et partenaire devenu son adversaire. La jeune femme disparaît à la fin du roman sans que l'on sache si elle est morte ou vivante. Quoiqu'il en soit, Lucy, rattachée également au District Douze, préfigure bien sûr Katniss Everdeen qui en sera une sorte de réincarnation, nouveau phénix réapparaissant dans les flammes pour renverser le président Snow et son régime dictatorial au bout d'un cycle de 75 ans72.
