Les Vestales

Vers le Musée virtuel de la Méditerranée

Les vestales, des prêtresses au service de la déesse Vesta… et du peuple romain

Les vestales (virgines Vestales) sont les prêtresses de Vesta, la déesse du feu et du foyer à Rome. Cette divinité est représentée par le feu qui brûle de manière permanente dans son sanctuaire du Forum (Aedes Vestae). Ce feu est entretenu et surveillé par les vestales qui se relaient jour et nuit pour mener à bien cette mission.

Selon G. Dumézil (dans La Religion romaine archaïque), ce culte rendu à Vesta dans son édifice circulaire (ce qui diffère de l’habituel templum) renverrait à un rituel indo-européen rappelant ce feu-symbole allumé dans tout camp nomade et assurant la sécurité du groupe. Ainsi, ce feu sacré incarne l’âme de Rome : de sa sauvegarde dépend la survie de la cité. Il est le symbole de la pérennité de l’État, garantissant la pax deorum (la concorde entre les dieux et les hommes). Le transfert de la flamme civique aux foyers domestiques permet aussi la pratique  des cultes privés. C’est pourquoi ce feu ne doit pas disparaître par négligence. Chaque 1er mars de l’an, il est éteint et rallumé selon un rite bien établi : feu primordial, il ne peut être allumé à partir d’un autre feu ; feu terrestre, ce sont les vestales qui doivent le produire en frottant deux morceaux de bois d’un arbre qui a déjà donné des fruits (arbor felix).

En outre, ces prêtresses assurent à Rome une continuité à travers les âges. Leurs prières confèrent aux Romains la victoire (Pline le Jeune, Ep. IV, 11, 7) et elles sont les seules à avoir la garde des objets les plus sacrés et les plus anciens de la Ville, conservés dans le penus Vestae (le saint des saints, dissimulé au fond du sanctuaire). Elles ont, en effet, en charge les pignora imperii, ces « fétiches » garants de la pérennité romaine (au nombre de sept selon Maurus Servius Honoratus, Commentaire de l’Énéide de Virgile, 7. 188) : l’ « aiguille » de Cybèle (pierre conique représentant la déesse), le quadrige en argile venant de Véies, les cendres d’Oreste, le sceptre de Priam, le voile d’Ilionée (fille de Priam), le Palladium (une statue de Minerve sauvée des flammes de Troie), et l’ancile (bouclier sacré lié au culte de Mars qui serait tombé du ciel). Il y aurait également les Pénates, prétendument apportés de Troie par Énée, et l’image d’un phallus qui servirait de préservation et de protection de Rome.

Tout aussi important est le rôle des Vestales dans la conservation du « garde-manger » symbolique et sacré de Rome : elles s’occupent, entre autres, de la mola salsa (« farine salée »), ingrédient nécessaire aux sacrifices.

Par ailleurs, les vestales jouent un rôle de transmission des testaments matériels et politiques : César et Marc-Antoine leur auraient remis le leur en raison du caractère inviolable du sanctuaire de Vesta et de la personne de ses prêtresses.

Enfin, elles président les Vestalia (fête de Vesta du 7 au 15 juin) et assistent à plusieurs cérémonies publiques aux côtés d’autres acteurs.

Les vestales, de jeunes recrues particulières

Unique collège romain de prêtresses (aux fonctions diverses), représentantes exceptionnelles du peuple et des intérêts de Rome, les vestales sont choisies selon des critères très stricts.

Dans les Nuits attiques (I, 12), Aulu-Gelle rapporte précisément comment une vestale est sélectionnée. Recrutée très jeune, entre six et dix ans, elle ne doit avoir aucun défaut physique. Quant à son origine sociale, la fillette doit être née de parents libres, d’une mère nécessairement matrone, et il faut que ces derniers soient vivants afin que la candidate reste préservée de la souillure inhérente à la mort. En outre, il est attendu que ses parents n’aient exercé aucun métier déshonorant, qu’ils n’aient jamais été esclaves ; qu’ils ne soient pas divorcés, et que le père n’ait pas été émancipé, c’est-à-dire affranchi d’une autorité paternelle ou d’une tutelle (il en est de même pour sa fille).

Ils sont tenus, enfin, de résider en Italie. De fait la nomination d’une nouvelle vestale met en avant la fillette la plus parfaite socialement et la plus pure religieusement.

Le mode de choix des vestales a évolué au fil du temps. Vers la fin de la République, selon la lex Papia, la future prêtresse est tirée au sort, devant une assemblée, à partir d’une liste de vingt noms : celle-ci a été établie par le pontifex maximus (le grand pontife). Une nouvelle procédure aurait vu le jour à la fin du règne d’Auguste ou au début de celui de Tibère car, malgré la prestigieuse élévation sociale liée au fait d’avoir une vestale dans sa famille, il y aurait eu un manque de candidates à plusieurs reprises. Ainsi, le pontifex maximus n’a plus qu’à présenter une ou deux aspirantes à cette prêtrise, proposées par leur père, au Sénat qui rend ensuite sa décision.

Une fois la fillette choisie, elle est « prise » par le grand pontife qui la soustrait de l’autorité paternelle pour la placer sous la sienne. C’est au cours de cette procédure nommée « captio » que le pontifex maximus prononce la formule « ita te, Amata, capio » (voir citation finale).

Le nombre des vestales a varié selon les auteurs et les époques : deux ou quatre à l’origine, six par la suite (voire sept durant l’Antiquité tardive). Elles ont à leur tête la virgo vestalis maxima ou vestalium maxima (« la plus grande des vestales ») et sont réparties en trois groupes d’âges différents : les plus jeunes sont formées par les plus anciennes durant dix ans tandis que le groupe intermédiaire entretient le feu sacré de manière permanente. Ainsi, chaque vestale consacre au moins trente ans de sa vie à ce sacerdoce.

Les vestales, des femmes au statut et aux privilèges particuliers

La captio, qui fait de la fillette une vestale, lui donne un statut juridique et économique exceptionnel : libérée de l’autorité paternelle (patria potestas), elle devient sui iuris, c’est-à-dire autonome juridiquement (Gaius, Institutes, 1, 130 ; Ulpien, X, 5). Il en résulte que cette dernière se trouve dans une situation tout à fait particulière : elle n’est plus membre de sa famille mais elle n’appartient pas non plus à une nouvelle famille (comme cela est le cas dans un mariage cum manu, dans lequel la femme passe sous l’autorité de son mari). La vestale est exempte de la tutelle perpétuelle des femmes : elle peut donc, sans tuteur, mener ses affaires, hériter et transmettre ses biens. On lui applique le droit accordé aux matrones, mères de trois enfants (ius trium liberorum), lui garantissant cette autonomie. Ainsi l’on peut penser qu’en étant affranchie de toute potestas (celle d’un père, d’un mari ou d’un tuteur) et libérée de tout lien familial, la vestale peut pleinement se consacrer à la communauté et entretenir le foyer public, symbole de la collectivité romaine : elle est alors capable d’agir (de prier, de sacrifier) en toute autonomie et en toute efficacité.

Par ailleurs, les vestales disposent d’autres prérogatives. Selon Plutarque (Vie de Numa, XIV), elles peuvent gracier tout condamné à mort qui les croise fortuitement et involontairement. Elles sont exemptées du devoir de prêter serment. Elles disposent de licteurs (escorte chargée, entre autres, de les protéger). Elles ont le droit de circuler en litière. Depuis Auguste, elles ont même des places réservées dans les spectacles.

Aucune autre femme à Rome ne bénéficie d’un tel statut, de telles marques honorifiques, de tels privilèges mais le prix de ces derniers est leur virginité…

Les vestales, et la question de la virginité

Les vestales doivent rester vierges. Leur sacerdoce est lié à cette exigence de pureté sexuelle. Enfreindre cette obligation est considéré comme un inceste (incestus), c’est-à-dire la violation d’une règle et l’impureté par défaut d’abstention. Si une vestale a un rapport sexuel, elle corrompt sa virginité et sa souillure la rend inapte au service de Vesta qui peut alors en être offensée et ne plus protéger Rome… De ce fait, la fautive est jugée par le collège des pontifes, puis elle est sanctionnée d’un châtiment spécifique : si l’on en croit notamment Plutarque (Numa, 14), la vestale mise en cause est enterrée vivante dans une chambre souterraine avec quelques vivres et une lampe. Plusieurs auteurs antiques d’œuvres rhétoriques, poétiques ou historiques évoquent avec un certain goût de la mise en scène et du morbide ces procès de vestales soupçonnées d’avoir fauté… Suétone évoque ainsi le cas de la vestale Cornélia, enterrée vivante sous l’empereur Domitien en 92 (Domitien, VIII, 3-4). Pour certains chercheurs, on peut rapprocher ces mises à mort de sacrifices expiatoires, censés sauver la communauté civique : plusieurs ont eu lieu lors de situations critiques (notamment militaires, en 216 avant J.-C. par exemple).

Mais, en réalité, c’est leur devoir du culte, et non leur virginité, qui est mis en avant dans les représentations iconographiques officielles des prêtresses ou les inscriptions en leur honneur.

Les vestales, des prêtresses au statut ambigu ?

Vouées à la virginité, les vestales évoluent dans un monde romain où il est attendu que la femme se marie et ait des enfants. Pourtant, de manière a priori paradoxale, elles exercent une forme de patronage et de protection des matrones, visible notamment à l’occasion des fêtes de juin (Vestalia) lors du balayage rituel du sanctuaire.

Leur tenue même les place entre la vierge et la matrone. Elles portent une longue robe (stola) qui renvoie au statut de la matrone. Leurs cheveux sont partagés en six tresses, à l’instar de la mariée le jour de ses noces, et parés de vittae, bandelettes ou rubans que l’on retrouve dans la coiffure des matrones. Cette coiffure emprunte donc des éléments propres aux vierges et aux épouses, signifiant sans doute que les vestales sont vierges et non disponibles.

Mais les vestales se distinguent également par leur « virilité ». Elles disposent d’une exceptionnelle émancipation, économique comme juridique. Comme les hommes, elles disposent du salaire que leur verse l’État. Elles peuvent se déplacer en char dans les rues de Rome. Elles ont à leur service des licteurs, normalement réservés à des magistrats supérieurs.

Vierges et matrones, vierges et « viriles » : les vestales sont tout à la fois fille, épouse, fils de roi (voir M. Beard, « The sexual status of the Vestal Virgins »)… Elles représentent ainsi la collectivité de Rome dans une globalité indivise.

Les vestales, naissance et dissolution du seul collège romain de prêtresses

Tite-Live (historien du Ier siècle avant – après J.-C.), Plutarque (philosophe et biographe du Ier siècle après J.-C.), et Aulu-Gelle (érudit et compilateur du IIè siècle) racontent que le roi Numa Pompilius aurait créé cette prêtrise des vestales. Selon le premier auteur, ce même roi leur aurait attribué un salaire payé sur le trésor public.

Sous l’Empire, l’empereur Auguste associe les vestales à toutes les grandes dédicaces et cérémonies. A partir des Sévères (dynastie de cinq empereurs qui règnent de 193 à 235 après J.-C.), elles apparaissent sur les monnaies en train de sacrifier, souvent avec l’empereur et l’impératrice, ce qui souligne la piété (pietas) de ces derniers.

En 392, l’empereur chrétien Théodose Ier interdit toute forme de culte païen. Selon l’historien Zosime (Histoire nouvelle, T. 10, IV, 59), il aurait annoncé au Sénat la fin du financement des frais de culte et des sacrifices de la religion romaine ancestrale. Privé de ressources financières, le temple est par la suite fermé, le feu sacré éteint et le collège des vestales est dissout. Coelia Concordia est la dernière vestale et grande vierge vestale de l’histoire : elle se convertit finalement au christianisme.

Ce que nous apprend Aulu-Gelle :

 

"Capi" autem uirgo propterea dici uidetur, quia pontificis maximi manu prensa ab eo parente, in cuius potestate est, ueluti bello capta abducitur. In libro primo Fabii Pictoris, quae uerba pontificem maximum dicere oporteat, cum uirginem capiat, scriptum est. Ea uerba haec sunt : "Sacerdotem Vestalem, quae sacra faciat, quae ius siet sacerdotem Vestalem facere pro populo Romano Quiritibus, uti quae optima lege fuit, ita te, Amata, capio.

 

On dit prendre une vestale, parce que le grand pontife l'arrache d'entre les bras de son père, qui en était le maître, comme on enlève une captive les armes à la main. Dans le premier livre de Fabius Pictor, nous trouvons les paroles que doit prononcer le grand pontife lorsqu'il prend une vestale. Voici cette formule : AMATA, JE TE PRENDS CONFORMÉMENT AUX LOIS, JE TE FAIS VESTALE, JE TE CHARGE, EN TA QUALITÉ DE VESTALE, DE FAIRE CE QUI EST UTILE AU PEUPLE ET A L'EMPIRE ROMAIN.

Aulu-Gelle, Nuits attiques, I, 12, 12-14, Traduction de M. Charpentier - M. Blanchet, Œuvres complètes d'Aulu-Gelle, t. I, Paris, Garnier, 1927 (?)

Vers le Musée virtuel de la Méditerranée

La vestale, une prêtresse-statue de la déesse

La vestale et le flamine de Jupiter (flamen Dialis) sont les seuls prêtres soumis à « un service religieux permanent » (Aulu-Gelle, Nuits attiques, X, 15). Ils représentent pour ainsi dire la divinité pour laquelle ils officient et fonctionnent comme des « prêtres-statues » selon l’expression de J. Scheid. Les vestales sont des sortes d’incarnation de Vesta.

La vestale, un modèle pour l’extension des droits et privilèges des femmes romaines

Le statut de la vestale et ses privilèges soulignent d’autant plus l’état de tutelle et de dépendance des autres femmes romaines, tout en annonçant et en préparant l’extension de leurs droits et de leurs privilèges par la suite, notamment pour les femmes de la famille impériale puis pour le reste des citoyennes. Elles sont en cela des modèles.

La vestale fécondée : Rhéa Sylvia

Alors qu’une tradition attribue la création du collège des vestales à Numa, une autre affirme que la princesse albaine Rhéa Silvia, fille de Numitor, était une vestale. Lorsqu’Amulius chasse son frère Numitor du pouvoir, il assassine ses propres neveux et fait de sa nièce une vestale, la condamnant à rester vierge. Cependant, cette dernière inspire le désir au dieu Mars qui la possède alors qu’elle est assoupie. Enceinte de cet unique rapport sexuel, Rhéa Silvia met au monde Romulus et Rémus. Dans les Fastes, Ovide évoque le viol de la jeune femme par Mars sans jamais employer le vocabulaire de la violence ou de la contrainte. La vertu de Rhéa Silvia n’est pas bafouée et la déesse Vesta ignore le crime de la vestale en se cachant les yeux lors de l’accouchement de sa prêtresse.

La vestale traîtresse : Tarpéia

Fille du commandant de la citadelle de Rome (au sommet du Capitole), Tarpéia est connue pour avoir trahi les Romains. Elle aurait rencontré Titus Tatius, chef des troupes sabines, alors qu’elle sortait de la ville pour aller chercher de l’eau. Ce dernier s’apprêtait à attaquer Rome. Selon Tite-Live (Histoire romaine, I, 11) qui fait de la jeune femme une vestale, elle aurait été achetée pour ouvrir les portes de la cité aux Sabins. De nombreuses versions de cette histoire existent mais les auteurs antiques s’accordent à dire que les Sabins ensevelirent finalement la jeune femme sous leurs boucliers. En souvenir de sa trahison, la roche sur laquelle Tarpéia fut tuée fut nommée « roche Tarpéienne » : on y jetait les condamnés à mort depuis son sommet.

Le mot « vestale » sens dans la langue française

On emploie le mot « vestale » en français pour évoquer une jeune fille ou une femme parfaitement chaste. Il peut également désigner une personne qui garde le foyer, qui conserve les traditions.

Voir aussi :

 

Pistes d’étude ou de réflexion :

  • La condition féminine dans la Rome antique
  • La question de la virginité dans la Rome antique
  • Les rôles religieux des femmes dans la Rome antique
  • Les femmes célèbres dans l’Antiquité
Besoin d'aide ?
sur