Les Guêpes en bref

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Les Guêpes en bref

Une étrange maladie : v. 67-90

La charge des vieillards : v. 415-445

Une réconciliation en trompe-l’œil : v. 860-890

Un procès pour le plaisir : v. 962-990

De la fierté d’être guêpe : v. 1091-1121

L’habit ne fait pas le mondain : v. 1152-1173

Avec sa première pièce, Les Banqueteurs (1), Aristophane obtient, en 427, une deuxième place d’autant plus brillante que, trop jeune encore, il n’a pas atteint l’âge légal qui lui permettrait de concourir. Les succès s’enchaînent alors. Aristophane obtient de multiples premiers prix : en 426 lors du concours des Dionysies avec ses Babyloniens, au Lénéennes de 425 avec les Acharniens et de 424 avec les Cavaliers. Sans doute connaît-il encore le succès aux Lénéennes de janvier 423 avec une pièce qui ne nous est pas restée, les Ὁλκάδες (Navires marchands).

Autant dire que ses débuts sont extraordinaires : jusqu’alors, les concours ont été dominés par un nombre très restreint de poètes d’expérience, notamment Cratinos et Cratès. Tout change dans les années 420, avec l’émergence d’un petit groupe de jeunes auteurs, dont les trois principaux sont Aristophane, Eupolis et Phrynichos.

Le concours des Dionysies du mois de mars 423 est un coup d’arrêt pour Aristophane. C’est l’année où il présente les Nuées, qu’il estime être sa pièce la plus aboutie. Mais elle ne finit qu’à la troisième place, le succès revenant au vieux Cratinos et à sa Pytine (2). Voici de retour au premier plan des poètes qu’on croyait passés de mode (3).

Le succès de Cratinos, en 423, n’est cependant pas surprenant. Les Athéniens, en guerre depuis de longues années, connaissent une crise d’identité profonde et ne cessent de se référer à des valeurs et à des personnes qui leur rappellent un passé aussi apaisé que glorieux. Il en va jusqu’aux coiffures des jeunes élégants : rien n’est de meilleur ton que de nouer ses cheveux à l’ancienne, en arborant le chignon (κρωϐύλος) des vieux marathonomaques. 

Dans sa Pytine, Cratinos se représente lui-même comme le mari de Comédie. Mais il lui a fait des infidélités en lui préférant une femme plus aguichante : Ivresse. Comédie, lassée de l’ivrognerie de Cratinos, se dit prête à divorcer. C’est alors qu’intervient le chœur des amis de Cratinos. Il décide de se muer en tribunal, devant lequel la femme et le mari pourront, pour l’une, porter ses accusations et, pour l’autre, soutenir sa défense.

Les Guêpes, qui sont représentées aux Lénéennes de 422, constituent une réponse d’Aristophane à la Pytine de Cratinos. A-t-on trouvé ses Nuées trop audacieuses ? Préfère-t-on des pièces à l’ancienne mode ? Qu’à cela ne tienne ! Il ne manquera rien, dans ses Guêpes, des plus strictes conventions de la comédie traditionnelle.

Masque comique - Musée archéologique national, Athènes
                 Masque comique
       Musée archéologique national
                         Athènes

On y trouvera une scène de bataille, à laquelle répondra une scène de renversement. L’ἀγών, inspiré de celui de la Pytine, verra chacun des deux personnages principaux plaider sa cause ; il commencera par un chant du chœur, avant que le coryphée ne donne le ton aux acteurs dans son κατακελευσμός ; suivra l’ἐπίρρημα, où les arguments seront énoncés et que concluera un morceau de bravoure final, le πνῖγος, récité d’un seul tenant, sans reprendre haleine ; le second acteur répondra au premier dans un ἀντεπίρρημα que parachèvera un ἀντιπνῖγος.

La parabase, quant à elle, comportera ses six parties traditionnelles : le κομμάτιον, pour demander l’attention des spectateurs, la παράϐασις proprement dite, où le poète justifiera le projet de son œuvre, avec son πνῖγος (ou μακρόν) final, auquel succèderont une ᾠδή et un ἐπίρρημα, et, symétriquement, une ἀντῳδή et un ἀντεπίρρημα. Et si cela ne suffit pas, une seconde parabase complètera la première.

Aucune audace formelle ne pourra, cette fois, être reprochée à Aristophane ! Bien au contraire : sa pièce, fait unique, est un modèle de classicisme, si l’on peut dire.

Le tour de force d’Aristophane est de se servir de ce cadre traditionnel de la comédie pour faire une œuvre dont il revendique l’originalité. C’est ce que soulignent les deux serviteurs qui présentent le sujet de la pièce dans le prologue. Xanthias et Sosias y prétendent que la comédie à venir entend rompre avec les précédentes : « Qu’on n’attende de nous rien de trop élevé » (v. 56 : μηδὲν παρ᾽ ἡμῶν προσδοκᾶν λίαν μέγα), mais pas, non plus, les fadaises des pièces concurrentes. « Au contraire », dit Xanthias aux spectateurs, « nous avons un petit sujet plein de bon sens, pas plus finaud que vous ne l’êtes vous-mêmes, mais plus habile qu’une comédie balourde » (v. 64-66 : ἀλλ᾽ ἔστιν ἡμῖν λογίδιον γνώμην ἔχον, / ὑμῶν μὲν αὐτῶν οὐχὶ δεξιώτερον, / κωμῳδίας δὲ φορτικῆς σοφώτερον).

Le personnage principal est un vieil Athénien qui souffre d’une incurable maladie : il ne peut se passer de siéger au tribunal de l’Héliée et, réduit, comme ses amis qui composent le chœur, à la pauvreté à cause de la guerre, il compte chaque jour sur les quatre oboles que Cléon a promis aux citoyens en échange de leur vote pour un nouvel effort de guerre. Son nom, Philocléon, dit tout son attachement à l’homme qui a causé sa maladie et le tient dans l’esclavage où il se complaît. Au contraire, son fils, Bdélycléon, « a la nausée de Cléon ». Il cherche à guérir son père en le retenant prisonnier dans sa propre maison.

Satyre dansant - Musée Benaki, Athènes
      Satyre dansant - Musée Benaki, Athènes

On s’aperçoit cependant rapidement que ce fils n’est rien d’autre que l’un de ces parvenus qui dupent le peuple à force de cajoleries et que la guérison de Philocléon tient davantage à sa nature d’homme du peuple : en bon Athénien, il aime la table et le vin, les plaisirs charnels, les danses endiablées… 

Une folie dionysiaque s’empare peu à peu de lui. Le voilà, satyre lui-même, cherchant à s’échapper sous un âne (animal dionysiaque par excellence) de la maison où il est retenu comme autrefois Ulysse sous un mouton pour fuir la caverne de Polyphème. Poussé à se rendre, une fois guéri, à un banquet de parvenus, il y sème un tel désordre sous le coup de l’ivresse qu’il finit par ressembler lui-même à un baudet délirant tant il s’est gavé d’orge grillé (1309-10).

Et il ne tardera pas, pris d’un transport corybantique, à défier à la danse les trois petits bouts d’hommes, hauts « comme des rognures de crottes de biques », qui se présentent alors devant les spectateurs. Ce sont les fils du poète Carcinos, qui a tenté d’introduire dans la tragédie des pantomimes d’un nouveau genre.  Mais la danse qu’exécute alors le vieux Philocléon est bien différente : folle, enthousiaste, inspirée par Dionysos. 

Le voici, enfin, qui invite le public à le suivre dans une procession dionysiaque finale en tous points conforme à celle des Lénéennes. Désormais la frontière entre la réalité et la fiction théâtrale est abolie. Le vieux Strépsiade, plein de vin et du dieu, est devenu le dadouque des Athéniens, qui sont invités à « toupibourdillonner » (βεμϐικίζειν : 117) comme le vieil homme. Il se libéreront ainsi du joug de Cléon et de ces parvenus qui font leur malheur.

Mettre la bouteille de côté, comme l’avait fait Cratinos, c’était trahir la comédie elle-même, dans sa plus stricte rectitude et dans son élan cathartique.

 

 

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Les Guêpes en bref

Une étrange maladie : v. 67-90

La charge des vieillards : v. 415-445

Une réconciliation en trompe-l’œil : v. 860-890

Un procès pour le plaisir : v. 962-990

De la fierté d’être guêpe : v. 1091-1121

L’habit ne fait pas le mondain : v. 1152-1173

Notes

1) Aristophane y représente un vieil homme vertueux et son υἱὸς καταπύγων, son « fils débauché ». La débauche du fils vient de l’enseignement qu’il a reçu des rhéteurs, au point qu’il parle comme Lysistratos, un orateur crève-la-fin, acrimonieux et mauvaise langue qui traîne avec la clique de Phrynicos, et comme Alcibiade, « ce large cul et bavard impénitent » (εὐρύπρωκτος καὶ λἀλος), comme il est élégamment dit au vers 716 des Acharniens.

2) Il s’agit d’une bouteille couverte d’osier, comme on en fait encore.

3) Le second rang est occupé par le Konnos d’Ameipsias, dont on ne sait rien, sinon que Konnos était un maître de musique et qu’il a eu pour élève Socrate.

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