La pratique de l’essai et l’exercice de la confrontation Pour préparer l'épreuve de première en LLCA

  • Consulter la note de service n° 2019 MENJ-DGESCOA2-1 NOR : MENE 1910712N portant sur les épreuves communes de contrôle continu des enseignements de spécialité suivis uniquement pendant la classe de première de la voie générale, à compter de la session 2021 de l'examen du baccalauréat.
  • Consulter la page éduscol présentant les sujets zéro.

La pratique de l’essai

L'épreuve est composée de deux parties prenant appui sur un texte en grec ancien ou en latin d'environ trois cents mots (marge de 10 %) donné en langue ancienne et en traduction. Pour la deuxième partie, le candidat a le choix entre deux questions : langue ou culture.

« Choix n° 2 (Culture) : il est demandé la rédaction d'un court essai libre et organisé en français (500 mots maximum) prenant appui sur le texte support. Le candidat montre sa capacité à confronter ce texte avec ceux, antiques, modernes ou contemporains, qu'il a étudiés en cours d'année ou lus de manière personnelle ainsi qu'avec des œuvres d'autres domaines artistiques. Il peut proposer des pistes problématisées selon des axes culturels variés (littérature, arts, philosophie, histoire, anthropologie, etc.).»

L’élève est ainsi invité à mettre sa pensée à l’épreuve, sans prétendre exprimer un jugement définitif ni une vérité incontestable. L’essai met en tension la recherche d’une vérité relative et l’expression d’une pensée subjective. C’est pourquoi il peut être rédigé à la première personne.

L’essai est, en effet, conçu comme une prise de parole et un engagement assumés par son auteur. C’est un espace de liberté et de plaisir, régi cependant par un « contrat d'énonciation et de lecture, une véridicité conditionnelle où s'équilibrent et se contestent conviction et hésitation » ; il est régi également par « un modèle générique alliant visée argumentative, progression par reprises » (Pierre Glaudes et Jean-François Louette, ed. Armand Colin).

L’essai au tamis de l’étymologie

« Essai, connu en français dès le XIIème  siècle, provient du bas latin exagium, la balance ; essayer dérive d’exagiare qui signifie peser. Au voisinage de ce terme on trouve examen : aiguille, languette sur le fléau de la balance, par suite, pesée examen, contrôle. Mais un autre sens d'examen désigne l'essaim d'abeilles, la nuée d'oiseaux. L'étymologie commune serait le verbe exigo, pousser dehors, chasser, puis exiger. Que de tentations si le sens nucléaire des mots d'aujourd'hui devait résulter de ce qu'ils ont signifié dans un passé lointain ! L'essai autant dire la pesée exigeante, l'examen attentif, mais aussi l'essaim verbal dont on libère l'essor. »

Jean Starobinski, « Peut-on définir l’essai ? », Cahiers pour un temps, n° 7, « Jean Starobinski », Paris, Éditions Centre Georges Pompidou, mars 1985

Une longue tradition littéraire

1. Les modèles antiques

Les élèves pourraient apprendre à formuler leur pensée dans le genre et l’esprit de la conversation - le sermo (entretien) - cher aux Anciens dans leurs échanges dialogués ou épistolaires, qui favorisent la pensée paradoxale et la suspension du jugement (voir les dialogues de Platon, les lettres de Cicéron à son ami Atticus, celles de Sénèque à Lucilius, ou encore les pensées de Marc Aurèle pour lui-même).

2. Le XXème siècle : le siècle de l’essai

L’essai se développe autour du vaste débat critique sur l'importance et l'actualité de la littérature dans la construction du savoir, notamment avec Péguy, Bergson, Sartre, Camus, Bataille ou Barthes (Fragments d’un discours amoureux, notamment).

Quelques attentes

  1. La prise en compte du texte support : L’élève montre qu’il en a dégagé et compris les principaux enjeux, qu’il peut les interpréter et les réexploiter dans sa réflexion personnelle.
  2. La confrontation entre l’antique et le moderne : L’élève doit se montrer capable d’éclairer le présent en partant du passé et réciproquement.
  3. La maîtrise de l’argumentation : L’élève témoigne de sa capacité à convaincre en prenant en compte un destinataire implicite.
  4. L’exploitation des lectures, la culture et l'expérience personnelles : L’élève montre qu’il maîtrise les lectures et connaissances acquises en classe tout au long de l’année. Sa réflexion exploite aussi l'ensemble de ses connaissances et expériences personnelles (lectures, spectacles, sorties culturelles). Il s’y réfère sous la forme de citations, de résumés ou d’une reformulation plus libre qui illustre son appropriation des œuvres antiques et modernes et/ou contemporaines.

La démarche

Pour être convaincante, la réflexion proposée et les exemples qui la justifient ont intérêt à être ordonnés. L'expression et l'approfondissement des idées se font tout au long du développement.

  • L'introduction (brève) annonce les grandes lignes de l'essai.

La formulation d’une problématique n’est pas requise. À partir des principaux éléments du texte, l’élève détermine la question ou du moins le sujet qu’il souhaite aborder, en cohérence avec l’objet d’étude et le thème du texte ; il définit la perspective (littéraire, historique, esthétique, …) et l’organisation de son étude selon ses centres d’intérêt et selon les œuvres et les documents qu’il aura étudiés.

  • Le développement est construit en deux parties au moins, elles-mêmes subdivisées en paragraphes.

Il répond à un double objectif :

       - mettre en œuvre une étude des idées qui constituent le problème examiné et recherche des exemples illustrant ce problème ;
       - exprimer un point de vue personnel par la discussion des idées et par la définition de nouvelles idées étayées par des exemples.

La démarche délibérative n’est pas attendue : l’élève peut développer et soutenir son seul point de vue.

Aucune posture énonciative ne peut être par principe exclue : le candidat peut adopter un ton investi et personnel, et donc recourir à la première personne du singulier, ou choisir un ton neutre et distancié, et donc utiliser la troisième personne, du singulier ; il peut également, dans une forme dialoguée fictive, combiner première personne du singulier et deuxième personne du singulier ou du pluriel, à l’instar des correspondances antiques qu’il aurait pu étudier.

L’élève s’attache à développer sa réflexion personnelle en l’étayant constamment sur la confrontation de références antiques et modernes/contemporaines. L’analyse d’éléments précis des textes / œuvres abordé(e)s au titre d’exemples ne constitue pas un attendu ; un essai proposant ce type d’analyse pourrait être valorisé.

Au regard des dimensions fixées à l’essai (500 mots, soit environ deux pages), il est légitime d’attendre le développement d’au moins quatre idées, chacune d’elles illustrée par un double exemple confrontant une œuvre antique et une œuvre moderne ou contemporaine. Toute copie développant davantage d’idées et/ou d’exemples pertinents pourrait être valorisée.

L’étude ne saurait être exhaustive : le cheminement de la pensée personnelle, alliant progression et pertinence, est privilégié.

  • La conclusion propose un bilan de la réflexion.

Il n’est pas attendu d’ouverture au terme de la réflexion.

L’essai peut se dérouler selon un ordre logique (proche de la dissertation) mais aussi selon un ordre plus libre ; il peut également prendre appui sur les mots concepts présents dans le texte support et étudiés dans les objets d’études du programme.

L’essai se distingue donc de la dissertation par :

  • sa brièveté ;
  • le choix laissé à l’élève de définir le périmètre et l’orientation de sa réflexion ;
  • l’absence d’attente d’une question problématisant la réflexion ;
  • l’absence d’attente d’une réflexion délibérative ;
  • la souplesse dans l’organisation et la progression de la réflexion ;
  • la liberté dans la posture énonciative ;
  • la possibilité laissée à l’élève de recourir à des exemples très divers ainsi qu’à son expérience personnelle.

Quelques critères d’évaluation de l’essai

  • la pertinence : compréhension des enjeux, notamment de la confrontation antique et moderne ;
  • la cohérence logique du propos (organisation, articulations pertinentes, conclusion qui peut être paradoxale) ;
  • la maîtrise de connaissances diverses et la capacité de les confronter avec discernement ;
  • la qualité de l’écriture (correction, créativité, élégance) : l’écriture peut être assez libre par rapport à un cadre formel (voir Montaigne).

Quelques repères biblographiques

  • Pierre Glaudes et Jean-François Louette, L’Essai, Paris, Armand Colin, coll. "Lettres sup", 2011.
  • Marielle Macé, Le Temps de l'essai, Histoire d'un genre en France au XXe siècle, Paris, Belin, collection L'Extrême Contemporain, 2006.
  • La tradition française de l’essai au XVIIIème siècle : Autour de Diderot « critique d’art » (écrits esthétiques), de Marivaux « journaliste » (Le Spectateur français), de Rousseau « promeneur » (Les Rêveries du promeneur solitaire).

L’exercice de la confrontation

Il vise à présenter la littérature et la culture antiques, d’une part, et moderne ou contemporaine, d’autre part, comme des horizons réciproques

  • afin de permettre aux élèves d’aujourd’hui de mieux se comprendre et de mieux se situer dans le monde ;
  • afin d’en percevoir autant la singularité que la proximité de ces œuvres à la lumière de la modernité.

Aussi confronter des œuvres de la littérature grecque ou latine avec des œuvres modernes ou contemporaines, françaises ou étrangères, conduit-il à développer une conscience humaniste ouverte aux variables culturelles. Par exemple, l’étude des polythéismes anciens mis en parallèle avec les religions monothéistes permet d’observer que les Anciens, Grecs et Romains, ont élaboré la représentation d’un monde complexe dans ses rapports entre humain et divin : cela nous éclaire notamment sur les diverses manières d’appréhender à notre époque la religion des autres, en incitant au respect et à la tolérance.

De l’antique au moderne, du moderne à l’antique, la confrontation d’œuvres latines ou grecques avec des œuvres contemporaines est le point de départ de la réflexion conduite lors de la mise en œuvre de l’objet d’étude. À titre d’exemple, la mise en regard des élégies antiques et des poèmes d’amour contemporains (Apollinaire, Aragon, Desnos, Leonard Cohen, Sophie Calle…), la représentation du labyrinthe dans Shining de Stanley Kubrick et le mythe du Minotaure, le pouvoir de la parole dans un contexte politique (Démosthène et Cicéron face aux discours contemporains, comme ceux de Barack Obama, Nelson Mandela ou Robert Badinter…) ou encore la mise en œuvre de la rhétorique dans les concours d’éloquence, en confrontant l’art de l’improvisation des sophistes antiques et le film de Stéphane de Freitas et de Ladj Ly, À voix haute : le pouvoir de la parole).

La confrontation s’attache aussi à mettre en lumière les procédés de filiation (Ovide, Héroïdes et les Lettres d’Abélard et Héloïse ou les Lettres de la religieuse portugaise de Guilleragues), d’antagonisme (Médée, Sénèque et Christa Wolf), ou de convergence (Eschyle, Prométhée enchaîné, Faust de Goethe ou Frankenstein de Mary Shelley) qu’entretiennent les textes étudiés. À cette occasion, l’on peut essayer de retrouver les sources d’inspiration d’une œuvre contemporaine, voire de commenter diverses formes de réécritures.

Un exemple : le thème de la métamorphose

Dans le cadre d’une l’étude du thème de la métamorphose, l’exercice de la confrontation pourrait s’effectuer sur un corpus constitué d’un extrait des Métamorphoses d’Ovide, le mythe d’Arachné (livre VI, vers 1-145), et de deux œuvres modernes, La métamorphose de Kafka et Rhinocéros d’Eugène Ionesco1.

Ces textes ont en commun de donner à voir la transformation d’un être humain en animal. L’analyse étymologique du mot « métamorphose » explique cette convergence par la notion de passage d’une forme à une autre, illustrée par la lecture d’extraits des œuvres citées (VI v. 129-145 à la fin du récit d’Ovide, premier paragraphe et courtes notations au long de la première partie du roman de Kafka, dernière partie de l’acte II de Rhinocéros). Déjà la confrontation des textes montre que le processus de la transformation apparaît en conclusion du mythe antique, alors que dans la littérature moderne il est placé en introduction ou au cœur du texte, dans une inquiétante progression de la description par étapes.

Cette observation permet d’interroger la fonction de la métamorphose : le châtiment divin d’Arachné qui a eu l’audace et l’impiété d’entrer en compétition avec une déesse conclut brièvement le récit du mythe, alors que dans la littérature moderne, c’est la place du personnage (Gregor chez Kafka, Jean pour Ionesco) dans le monde qui est modifiée par une lente évolution du regard des autres sur lui.

L’intérêt de la confrontation ici serait de montrer comment ces modes de traitement narratif éclairent les représentations différentes de l’être humain dans le monde antique, où les dieux, les humains et les éléments naturels constituent un univers « interactif » dominé par les sanctions divines, et dans le monde moderne où l’individu se confronte non plus aux dieux mais à la société. La métamorphose symbolise, par transgression des pratiques sociales (Kafka) ou par conformisme par rapport à une idéologie (Ionesco), la transformation de la relation du personnage à la société.

En prolongement de cette confrontation, le thème de la métamorphose peut être également abordé dans sa dimension artistique, arts plastiques ou cinéma, ou approfondi par des lectures dans une dimension diachronique (récits médiévaux, contes de Perrault et de Grimm, récits et nouvelles fantastiques du XIXème  siècle) ou contemporaine (par exemple, Truismes de Marie Darrieussecq).

Un exemple d’essai et de confrontation à partir du sujet zéro de grec

Objet d’étude : La cité entre réalités et utopies
Sous-ensemble : Penser les différents modes de gouvernement
Xénophon, Mémorables, III, 7, 3-9

►Le texte des Mémorables peut donner lieu au développement des pistes de réflexion suivantes :

  • la confrontation réfléchie des différents types de gouvernement et de leurs incidences sur les relations sociales ;
  • la distinction des jeux d’opposition, au sein de la cité, entre peuple et élite (sociale, politique, …) ;
  • l’examen des compétences attendues pour assumer des fonctions politiques ;
  • l’étude de l’art de la parole politique, entre efficacité et démagogie ;
  • l’évocation de la représentation de la parole et de l’action politique ;
  • l’étude du recours au dialogue comme outil de dévoilement progressif de la vérité.

Si l’élève choisissait d’aborder deux des pistes proposées ci-dessus (l’étude de l’art de la parole politique, entre efficacité et démagogie ; l’évocation de la représentation de la parole et de l’action politique), il pourrait par exemple développer à partir de sa lecture de l’extrait des Mémorables :

  • l’étonnante proximité entre la période contemporaine et la Grèce du Ve siècle :

- un intérêt actuel pour la rhétorique, comme en témoignent les cours d’art oratoire, les concours d’éloquence, les films (Le brio, …), les spectacles proposés par des avocats, très proche de la curiosité intellectuelle pour la rhétorique et la sophistique ;
- parallèlement, une défiance voire un discrédit vis-à-vis de la parole politique, perçue comme insincère, trompeuse, intéressée, …
- pourquoi une telle coïncidence ?

  • Le dialogue entre Socrate et Charmide reproduit cette tension : il aborde la techné rhétorique et sophistique, qu’évoque souvent Socrate, ainsi que la déconsidération de l’expert, voire de l’homme public, par le peuple des citoyens.
  • Cette techné antique a été aujourd’hui reprise et développée pour être intégrée dans les visées communicationnelles (cf. Christian Salmon, Storytelling. La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits ; à rapprocher de la critique des artifices de parole chez Aristophane : Cavaliers, Nuées, …). Elle est souvent associée à une absence de conscience, à un art du calcul et à un comportement hypocrite et intéressé (cf. Gracian, Le courtisan ; le personnage de l’abbé de Villecourt dans le film Ridicule, qui se vante devant le Roi de pouvoir successivement prouver l’existence de Dieu puis son inexistence).
  • Pourtant, la littérature témoigne de la puissance de la parole politique : par exemple,

- le discours de Périclès aux Athéniens chez Thucydide ;
- le discours du vieux Tahitien dans le Supplément au voyage de Bougainville ;
- ces discours démontrent la capacité d’associer dans un seul propos logos et pathos, sincérité et défense de valeurs et de principes, … ;
- d’autres montrent les limites de la parole publique ; par exemple le discours de Gwynplaine (Hugo, L’Homme qui rit) devant l’assemblée des Lords, qui, malgré sa puissance, son expressivité, déclenche un rire honteux chez les auditeurs.

  • Faut-il alors croire que l’efficacité d’une parole politique suppose une parfaite adéquation entre une parole et une époque, entre un sujet et un auditoire, entre un citoyen et un peuple ? Par exemple, Cicéron dans ses Catilinaires ; les discours de Churchill au peuple britannique lors de la Seconde guerre mondiale.
  • En tout cas, cette efficacité suppose un effet chez l’auditoire : l’impression que, quelle que soit la technique assimilée, quel que soit le degré de raffinement rhétorique du propos, la parole est naturelle, sincère, qu’elle dépasse le cadre fermé de la technique, de l’artifice pour exprimer une véritable authenticité et une conviction sincère. Aujourd’hui comme dans la Grèce du Ve siècle, s’expriment un même intérêt et, simultanément, une même méfiance, voire un même rejet vis-à-vis d’une parole d’experts : si la technicité de cette parole est travaillée, recherchée et reconnue, elle fait simultanément l’objet d’un soupçon voire d’une accusation d’insincérité, d’hypocrisie, de vanité et de distance méprisante. Se pose ici la question même de la représentation politique et de l’expertise qu’elle requiert.  

1. Pour Ovide, Les Métamorphoses, traduction Marie Cosnay, Édition de l’Ogre, 2017. Pour Kafka, La métamorphose, trad. Alexandre Vialatte, Folio Gallimard, 1977 (1e éd. 1915). Les descriptions ou indications lexicales exprimant la métamorphose du personnage sont nombreuses tout au long de la partie I. Pour Ionesco, Rhinocéros, Folio Gallimard, 1972 (1e éd. 1959),), acte II, tableau 3 en entier.

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