Hésiode donne successivement au début des Travaux et les Jours deux mythes qui rendent compte d'une chute ou d'une décadence : le mythe de Pandore et le mythe des races (ge/nh).
Le mythe de Pandore
Dans ce premier mythe, les malheurs de l'humanité jusque là en harmonie avec les dieux proviennent d'un affrontement entre Zeus et le Titan Prométhée :
- Prométhée essaie de tromper les dieux en faisant la part des dieux et la part des hommes dans les animaux sacrifiés (aux dieux les os enveloppés sous la belle graisse, aux hommes la bonne viande enveloppée dans la panse répugnante) : c'est le partage de Mékônè.
- Zeus se venge en privant les hommes du feu.
- Prométhée vole le feu en le cachant dans une tige de fenouil.
- Zeus envoie Pandora et sa jarre. Si Prométhée (litt. "celui qui réfléchit avant") se méfie, son frère Épiméthée (litt. "celui qui réfléchit après") tombe dans le piège de l'amour et accepte Pandora : celle-ci ouvre la jarre qui libère tous les maux sauf l'espoir. Les hommes sont condamnés au respect de la loi divine et au travail du fait de la transgression irrespectueuse (les Grecs disent "hybris") des Titans.
Les hommes n'y sont pour rien. Il leur reste à gérer le monde tel qu'il est depuis l'existence de la femme, belle à l'égale des déesses et l'obligation qui en découle de travailler pour vivre.
Le mythe des races
Dans ce second mythe, qui est censé couronner le premier et être plus explicite, cinq races se succèdent du fait de la volonté de Zeus, conduisant d'une harmonie primitive à un avenir apocalyptique.
Il n'y a pas une seule humanité, mais cinq versions, de plus en plus éloignées des dieux.
L'homme n'est pas non plus coupable de cette décadence comme dans le récit judéo-chrétien de la Chute, mais il est en mesure d'en tirer des leçons : il faut choisir la justice et le travail contre la tentation de la violence et de l'hybris.
Points communs
Ces deux mythes ne sont pas reliés, mais proposés l'un après l'autre, d'une manière qui est caractéristique de la pensée grecque : les mythes laissent toujours à l'auditeur le choix de faire ou non la liaison.
Il y a cependant deux points communs :
Le premier point commun en l'occurrence est l'hybris, et le danger qu'elle représente.
L'autre point commun est dans l'intention énonciative : Hésiode est censé s'adresser à son frère Persès qui, déjà mécontent de sa part d'héritage, perd son temps en procès au lieu de travailler la terre. Les deux mythes sont des mises en garde.
Justice et démesure
C'est l'opposition entre la justice (di/kh) et la démesure (u(/brij) qui structure la succession des races (sachant qu'il faut entendre par "races" des univers humains distincts) ; ces races sont sans liaison génétique ; les deux premières sont créées par "les Olympiens", les suivantes par Zeus tout seul, la prise de pouvoir de Zeus correspondant à l'anéantissement de la race d'argent.
- l'âge d'or est caractérisé par une harmonie avec les dieux sans rivalité.
- l'âge d'argent par une explosion finale d'hybris sous forme de mépris des dieux.
- l'âge de bronze par une hybris guerrière sans valeurs.
- l'âge des héros par la guerre aussi, mais une guerre ordonnée à la défense de valeurs justes.
- l'âge de fer, correspondant au présent, par un choix libre, dans un temps où le mal et le bien coexistent, entre la justice et la démesure, avec la menace d'une victoire de l'hybris.
Réversibilité ?
Le récit s'achève sur la fuite d'Aidôs et Némésis, divinisations de l'honneur et la justice : l'humain est définitivement séparé du divin.
Rien dans le texte d'Hésiode ne laisse supposer clairement un retour de l'âge d'or sauf le souhait du vers 175 : "Plût au ciel que je sois mort plus tôt ou né plus tard". Rien non plus ne relie explicitement l'âge d'or à un acte créateur de Cronos.
L'âge d'or est créé par les Olympiens en général. C'est là que se distinguent la mythologie grecque et la mythologie romaine avec son mythe de Saturne en Ausonie.
L'idée de temps cyclique et l'association de l'âge d'or à Cronos, que l'on trouve chez Platon et chez les "astronomes" alexandrins comme Aratos de Soles, aurait un lien avec la tradition orphique ...