Pendant plus de 10 000 ans, l’île de Chypre a été successivement envahie par des peuples préhistoriques venus du Moyen-Orient, puis par les Minoens, Syriens, Égyptiens, Phéniciens, Mycéniens, Assyriens, Égyptiens, Perses, Grecs, Romains, Byzantins, Arabes, Croisés, Génois, Vénitiens, Ottomans, et enfin par les Anglais avant de devenir indépendante en 1960, bien qu’aujourd’hui encore à moitié turque, depuis 1974, à moitié grecque et contenant une zone tampon britannique.
Les sites antiques gréco-romains les plus importants de l’île sont situés sur les côtes de l’île : il s’agit de Kourion, Paphos et Salamine.
Le site de Kourion
L’histoire de la cité
Κούριον (Kourion), également connue sous le nom de Curias ou Curium, est une cité située sur la côte Sud de l'île. Elle est mentionnée par de nombreux auteurs antiques, dont les écrivains Hérodote (480-425), Ptolémée (100-168), Strabo (60 avant J.-C. - 20 après J.-C.) et Pline l’Ancien (23-79).
Selon Hérodote et Strabon, Kourion aurait été fondée par les Αργείοι (Argeíoi, Argiens) – peuple d’Argolide appelé par Homère Danaens ou Achéens – lorsqu’ils revenaient de la Guerre de Troie.
Selon Strabon (XIV, 6), le cap Kourion était un rocher escarpé d’où l’on précipitait les personnes sacrilèges qui avaient osé toucher l'autel d'Apollon.
L'archéologie vient conforter la légende : au XIIIè siècle avant J.-C., lorsque les Mycéniens débarquent en Méditerranée orientale, des Archéens s’installent à Chypre sur un site privilégié, puis, au XIIè siècle, d’autres Archéens, fuyant l’invasion dorienne, s’y réfugient et fondent neuf cités-royaumes autonomes sur les côtes de l’île, dont Courson : son nom est mentionné sur une stèle égyptienne car Ramsès III (1187-1156 avant J.-C.) en fait un objectif militaire d’une de ses nombreuses campagnes en Orient.
Au VIIIè siècle avant J.-C., la cité passe progressivement sous domination grecque : le culte d’Ἀστάρτη (Astarté, déesse phénicienne de la fertilité et la fécondité) se transforme en culte d’Aphrodite et celui d’Ὑλάτης (Hylatès, dieu des forêts, de la dégénérescence et de la fécondité) devient le culte d’Apollon.
Au VIIè siècle avant J.-C., Kourion conserve son indépendance en acceptant de verser aux Assyriens, qui occupent l’île, le tribut imposé, ce qui permet son développement économique et politique.
Aux VIè et Vè siècles avant J.-C., lors des Guerres médiques, elle combat d’abord avec les Grecs, puis, selon Hérodote (V, 113), Stesenor, son roi, trahit son pays, ce qui engendre la défaite des Chypriotes, alliés d’Athènes par la ligue de Délos mais permet à la cité de Courson de vivre une période temporaire d’hégémonie sur les autres cités cypriotes jusqu’au triomphe d’Alexandre le Grand sur les Perses en 331 avant J.-C.
À la mort d’Alexandre, en 323 avant J.-C., Chypre passe sous domination égyptienne et Kourion joue un rôle commercial majeur grâce à l’emplacement de son port, situé non loin d’Alexandrie. Cela permet à la cité d’exporter vers l’Égypte ses ressources naturelles : le cuivre, le bois pour la construction navale, les olives, le blé.
C’est sous la domination romaine que Courson connaît son apogée, comme le prouvent les édifices de cette époque : le théâtre en particulier mais aussi le forum et son vaste portique central ; le nymphée ; les aqueducs et ses citernes ; la voie d’accès que Dioclétien fait paver et qui permet de relier Paphos à l’acropole de la cité ; ensuite le temple d'Apollon Hylatès qui est alors consacré à Apollon César et devient le lieu du culte impérial sous Trajan et Hadrien ; et enfin la statue de Trajan divinisé, élevée par Hadrien en 117, ainsi que le culte et les fêtes lyriques dédiés à la mémoire d'Antinoüs, qui se noie en 130 après J.-C. dans le Nil, et qui est assimilé à Adonis.
On suppose que cette cité est détruite durant le IVè siècle après J.-C. lorsqu’une série de cinq tremblements de terre en quatre-vingts ans la frappe et la réduit à néant. Au début du Vè siècle après J.-C., l’acropole de la ville est reconstruite mais les Arabes envahissent l’île en 648-649 et la détruisent, déplaçant ainsi la population vers le Nord-Est.
L’architecture de la cité
La cité traverse différentes périodes : hellénique, romaine et chrétienne. C'est pour cette raison que s’y côtoient une basilique paléochrétienne du IVè siècle après J.-C. à trois nefs, agrémentée d’un baptistère, et une vaste ἀγορά (agora, place centrale) d’époque hellénistique (IV-IIIè siècle avant J.-C.) qui devient romaine au IIIè siècle après J.-C. Cette place centrale était bordée sur ses quatre côtés d’un portique de 65 m de long constitué de colonnes de marbre, d’une nef centrale avec absides et d’une cour attenante au baptistère. Au Nord-Ouest de l’agora, se trouve un νυμφεῖον (nympheum, nymphée) construit sous Trajan et contenant une piscine octogonale.
Vers l’Ouest, se situent plusieurs maisons. Notons d’abord celle des Gladiateurs, datant du IIIème s. ap. JC et dont le nom provient d’une mosaïque de l’atrium représentant des combats de gladiateurs, ce qui est rare à Chypre. On peut voir aussi la maison d’Achille, datant du IVème s. ap. JC. Elle contient une mosaïque située dans un cour à péristyle, représentant Ulysse dévoilant l'identité d'Achille à la cour de Lycomède de Skyros lorsque la mère d’Ulysse, Thétis, le cache parmi les femmes, afin qu'il ne soit pas envoyé à la guerre de Troie. Cette maison a peut-être fonctionné comme un centre de réception civique.
La cité est aussi connue pour ses thermes aux mosaïques en très bon état de conservation.
Les thermes appartiennent à la domus d’Eustolios, construite après le tremblement de terre de 365 ap. JC ; ils sont donc d’abord des bâtiments privés luxueux avant de devenir un complexe public au cours de la période paléochrétienne (III-VIème s. ap.JC). Les thermes sont, comme à l’accoutumée, séparés en bassins de différentes températures : frigidarium (bain froid), tepidarium (bain tiède) et caldarium (bain chaud) ; ils sont aussi agrémentés d’une piscina (piscine) et disposent d’un apodyterium (vestiaire).
Dans le frigidarium, on peut voir une mosaïque représentant une figure allégorique de la construction architecturale, dont le nom est écrit en Grec, Kτίσις, (Ktisis, fondation) qui tient à la main l’unité de mesure romaine, le pied. Dans l’atrium de la maison, une autre mosaïque présente des symboles chrétiens, renvoyant à l’appartenance religieuse du propriétaire :
- le poisson, ἰχθύς ichthús en Grec, dont les lettres disposées verticalement forment un acrostiche : Ἰησοῦς Χριστὸς θεοῦ Ὑιὸς Σωτήρ (Iesus Christos Theou Uios Sôter = Jésus Christ Fils de Dieu, Sauveur) et qui représente le baptême et la résurrection,
- le faisan, qui symbolise la féminité et l’harmonie cosmique, passe pour avoir une viande imputrescible : il renvoie au mystère de l’immortalité,
- le pigeon symbolise le passage vers l’Au-delà car c’est un oiseau messager.
A côté de la maison d’Eustolios, on peut voir le théâtre, construit au IIème s. av. JC, d’architecture originelle grecque. Il a été modifié par les Romains jusqu’au IIIème s. ap. JC : un mur de scène lui est ajouté et il est agrandi et converti en amphithéâtre pour accueillir des spectacles de gladiateurs. A cette occasion, on retire les deux premières rangées de sièges pour les remplacer par un grillage servant à protéger les spectateurs de la violence des combats. Au pied des gradins, on aménage aussi une arche de pierre où les gladiateurs peuvent se réfugier lors des combats contre les bêtes sauvages. C’est Néron qui préside aux travaux et en est honoré par une statue à son effigie. De 3500 spectateurs à l’origine, sa capacité d’accueil double à l’époque romaine.
À presque un kilomètre et demi de l’acropole, se trouve le sanctuaire d'Apollon Hylatès, le troisième le plus important de l’île après celui de Zeus à Salamine et celui d’Aphrodite à Paphos. Il date du VIIIème s. av. JC et est dédié, à l’origine, à Hylatès avant d’être attribué à Apollon au IIIème s. av. JC puis reconstruit aux Ier et IIème s. ap. JC puis abandonné à la fin du IVème s. ap. JC. On a retrouvé un puits votif dans lequel les prêtres jetaient les nombreuses offrandes : objets, figurines de métal ou de terre cuite représentant des enfants, des parties du corps, des animaux ou des prêtres. Du temple d’Apollon, ne subsistent aujourd’hui que deux colonnes et une partie de la cella (partie cachée du temple, réservée aux prêtres), datant des Ier-IIème s. ap. JC.
A côté du temple d’Apollon Hylatès, se trouve une palestre où s'entrainaient les athlètes et des bains qui leur permettaient de soigner leur hygiène corporelle.
A mi-chemin entre l’acropole et le temple d’Apollon Hylatès, se trouve le stade, le seul aujourd’hui découvert sur l’île. Il a été construit sous le règne de l'Empereur Antonin (138-161). Sa piste mesure 186 m de long, le bâtiment total mesurant 230 m de long sur 35 m de large. Sa ligne de départ était suffisamment large pour accueillir huit coureurs. Il servait aux compétitions de pentathlon (qui comprenait des épreuves de course, de javelot, de saut, de disque et de lutte) et pouvait accueillir 6 000 spectateurs. Comme tout stade, il est conçu selon un plan en forme de U avec trois entrées réparties sur le pourtour, une sur chacune des faces Nord et Sud et une troisième à l'extrémité Ouest de forme semi-circulaire appelée sphendoné. Il a dû être utilisé jusqu'à l'an 400 ap. JC environ puis a servi de carrière de pierres.
Le site de Paphos
L’histoire de la cité
Paphos ou Νέα Πάφος (Nea Paphos, la nouvelle Paphos), est située le long de la côte Sud-Ouest de l'île, sur un léger promontoire naturel. Elle est fondée au IVème s. av. JC par Nicoklès, dernier roi de Παλαιὸς Πάφος (Paleo Paphos, l’ancienne Paphos), ville située 16 km à l’Est. Elle servait à accueillir les pèlerins venus honorer Aphrodite, près de l’endroit qui la vit naître.
La cité se développe avec la dynastie des Ptolémée d’Égypte vers 320 av. JC : étant située face à Alexandrie, elle a un rôle capital à jouer dans l’exportation des marchandises, notamment le bois des montagnes servant à la fabrication des navires. Nea Paphos devient alors le centre de l'administration ptolémaïque puis, à la fin du IIème s. av. JC, la capitale politique et économique de l'île tout entière.
En 58 av. JC, sous la domination romaine, la cité se dote d’imposants édifices publics : amphithéâtre, forum, odéon, temples, théâtre… ainsi que de luxueuses domus privées.
Au IVème s. ap. JC, les nombreux séismes endommagent la ville, qui perd son statut de capitale au profit de Salamine, rebaptisée alors Constantia. Dès lors, elle est peu à peu désertée.
Les invasions arabes du VIIème s. ap. JC parachèvent le déclin de la cité. Malgré quelques constructions de châteaux forts et d’églises à l’époque franque, la ville ne retrouve jamais sa splendeur passée. Le port s’ensable, transformant la côte en marais insalubres ; la population s’exile alors sur les hauteurs alentour pour fonder la ville haute Κτῆμα Πάφος (Ktima Paphos, la précieuse Paphos).
La cité est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1980.
L’architecture de la cité
Paphos est connue non seulement pour ses magnifiques mosaïques mais aussi pour ses sépultures appelées « tombeaux des rois ».
Plusieurs villas présentent des mosaïques particulièrement raffinées et bien conservées : les domus de Dionysos, d’Orphée, de Thésée et d’Aiôn. Elles comptent parmi les plus belles du Bassin Méditerranéen.
La domus de Dionysos date de la fin du IIème s. ap. JC et est détruite au IVème s. ap. JC. Elle est construite par-dessus un sanctuaire taillé dans la roche, d'une surface totale d'environ 2 000 m2, dont 556 m2 sont couverts de pavements mosaïques de très grande qualité. Elle doit son appellation à ses nombreuses mosaïques représentant des scènes de la vie de Dionysos. La domus d’Orphée date de la fin du IIème s. ap. JC et du début du IIIème s. ap. JC. Elle est organisée autour d’un atrium décoré de mosaïques représentant les héros Orphée et Hercule. La domus de Thésée, qui doit elle aussi son nom au sujet de ses mosaïques, date de la seconde moitié du IIème s. ap. JC. ; elle a été habitée jusqu’au VIIème s. ap. JC. Elle a été construite sur les ruines de villas gréco-romaines plus anciennes. Ses dimensions sont exceptionnelles : elle contenait plus de cent pièces décorées de 1400 m2 de mosaïques ! Sa taille, son décor luxueux et la présence de thermes privés à l’intérieur de la maison nous permettent de penser qu'il s'agit de la résidence du proconsul romain à Chypre. La domus d’Aiôn présente aujourd’hui une seule partie dégagée. Son triclinium est recouvert d’une mosaïque datée de 325 à 350 ap. JC représentant, entre autres, des scènes de la vie de Dionysos, vu ici non pas comme un dieu des passions et de l’ivresse mais comme un dieu sage, respecté, au milieu d’une procession solennelle, à une époque où le christianisme est devenu religion officielle et où le polythéisme, au contraire, est en plein déclin.
Au bord d’une falaise dominant la mer, à l’extérieur des murs de la cité, est creusée aux IV et IIIèmes s. av. JC, une vaste nécropole de 32 ha taillée dans la roche, ressemblant en tout point à celles trouvées à Alexandrie à la même époque, sous les Ptolémée, dynastie fondée par un général d’Alexandre le Grand en Egypte et qui a régné sur l’île durant la période hellénistique. On peut voir plusieurs tumuli (éminences artificielles recouvrant une ou plusieurs sépultures) et huit tombes qui reproduisent les habitations des mortels car elles sont construites à l’effigie des maisons traditionnelles. On y accède par un δρόμος (dromos, chemin fait d’un escalier en pierre permettant d’accéder à la partie souterraine). Certains tombeaux ouvrent sur un atrium à περίστυλον (peristulon, péristyle) richement décoré de colonnes doriques grecques et de fresques. Les tombes sont de trois sortes : des caissons pour les personnes de second rang ; des loculi, niches conçues pour les enfants ou les personnes de moindre rang et des ossuaires. Devant certaines tombes, on trouve, comme en Égypte, une fontaine ou un puits servant à la préparation des corps et aux cérémonies rituelles, à proximité d’une chambre destinée à la préparation des morts. Cela atteste des relations étroites entre Paphos et les cités égyptiennes au cours de la période hellénistique.
Ces tombeaux étaient destinés à servir de nombreuses fois : on retirait les corps plus anciens des plus grandes sépultures et on les disposait dans les ossuaires. Les tombeaux ont ainsi été utilisés pendant des siècles, de la période hellénistique à la période romaine, y compris par les premiers chrétiens. Ils ont été abandonnés après les tremblements de terre du IVème s ap. JC, ont été pillés et ont servi de carrières de pierres.
Le terme « tombeaux des rois » est impropre car les dernières dynasties chypriotes ont disparu depuis 312 av. JC, au moment de leur construction. Seul le tombeau n° 8 pourrait avoir servi pour un roi de la dynastie des Ptolémée, comme le prouvent des statuettes en argile qu’on y a retrouvées et qui représentent probablement l’aigle des Ptolémée. Cependant, cette dénomination s’explique par le fait que ces sépultures étaient destinées aux dignitaires d’Alexandrie, qui portaient les titres officiels de « parent », « cousin » ou « ami » du roi.
Le site de Salamine
L’histoire de la cité
Σαλαμίς, Salamís est située sur la côte Est de l’île. Sa fondation remonte au XIème s. av. JC, au moment où les colons venus d’Argos quittent Kourion et où les habitants fuient la ville d’Enkomi, située un peu plus à l’intérieur des terres, lors du tremblement de terre de 1075 av. JC. Selon la légende, la cité a été fondée au retour de la Guerre de Troie par Teucros, fils de Télamon, roi de l’autre Salamine, l’île située dans le Golfe Saronique. L’archéologie confirme la création de la cité au XIème av. JC.
Cependant, on conserve peu de traces datant d’avant le VIIIème s. av. JC. On trouve la ville mentionnée dans une inscription assyrienne comme un des royaumes d'Iadnana (Chypre). On sait aussi qu’elle se place sous le joug assyrien à partir de 708 av. JC et que son nom de Salamis date du VIème s. av. JC.
A trois reprises, elle est un lieu d’affrontements majeurs :
- Lors de la révolte d’Ionie qui marque le début des Guerres médiques : en 499 av. JC, c’est le roi de Salamine, Onesilos, qui conduit à la révolte les cités cypriotes contre les Perses. Les Grecs sont vaincus et Onesilos périt au combat aux portes de la cité.
- Lors de son entrée dans la Ligue de Délos à la fin des Guerres médiques : en 411, c’est Evagoras qui chasse un usurpateur phénicien et rétablit sur le trône une dynastie remontant, selon la tradition, à la guerre de Troie. Durant les quarante années de son règne (411-374), celui qu’on surnomma « le roi patriote » fut le maître incontesté de Chypre et étendit son pouvoir sur la Méditerranée orientale. Fidèle allié d’Athènes contre Sparte, il fut honoré d’une statue sur l’agora et, à sa mort, d’un panégyrique (discours d’éloges) composé par Isocrate.
- Lors des Guerres des Diadoques (διαδοκέω, diadokeô signifiant « succéder »), de 322 à 281, après la mort d’Alexandre le Grand : deux partis macédoniens s’opposent. Après plusieurs revirements et malgré la résistance de Nikokréon, roi de Salamine, qui préféra la mort au déshonneur, Ptolémée reprend le pouvoir en 311 av. JC.
Ces guerres aboutissent à la division de l’empire d’Alexandre entre les dynasties antigonide, lagide et séleucide. Salamine reste sous domination égyptienne pendant deux siècles. En 117 ap. JC, la cité est détruite à la suite de la répression d’une révolte juive.
En 340 ap. JC, Salamine est touchée par un tremblement de terre. Elle est ensuite reconstruite par l’Empereur Constance II (337-361) au IVème s. ap. JC sous le nom de Constantia : Isocrate nous apprend qu’à cette période, la ville connaît un développement considérable. C’est alors que le port s’ensable et qu’elle est définitivement détruite pas les Arabes en 647 ap. JC. En 648, ses derniers habitants la quittent pour s’installer un peu plus au Sud, à Arsinoé, cité qui possède son homonyme en Égypte et qui, au Ier s. av. JC, prendra le nom de Famagouste (de Fama Augusta, la renommée d’Auguste).
L’architecture de la cité
La cité de Salamís est connue pour son gymnase et ses thermes, une citerne, un amphithéâtre, un théâtre et un temple de Zeus. Les fouilles archéologiques confirment l’importance de la cité antique.
Le γυμνάσιον (gumnasion, gymnase), qui sert à l’entraînement des sportifs – et en particulier à la lutte, épreuve capitale des Jeux Olympiques – est l’un des plus impressionnants édifices de l’Empire romain d’Orient. Sa construction date du IIème s. av. JC. Il est constitué d’un vaste espace bordé de trente-six colonnes corinthiennes en marbre. Quelques-unes de ces colonnes appartenaient à l’origine au théâtre et furent réemployées après le tremblement de terre du IVè s. av. JC. Sous le portique subsistent des vestiges de pavement en opus sectile (« appareil découpé », technique utilisant des marbres taillés pour la décoration de pavages), interrompu par endroits de dalles inscrites, chrétiennes pour certaines, témoins des aménagements ultérieurs. Sous le règne d’Auguste (27 av. JC – 14 ap. JC), un bassin de pierre décoré de la statue de l’Empereur, trônait en son centre. À un angle de la cour, on peut voir des latrines publiques permettant d’accueillir quarante-quatre personnes à la fois !
A l’opposé, de hauts murs signalent les thermes. On sait que la cité compta, à son époque de plus grande prospérité, jusqu’à trois ensembles thermaux. Le portique qui précède les thermes est bordé de part et d’autre de piscinae (piscines) octogonales. Au centre se trouvent les salles habituelles des thermes : frigidarium (bain froid), tepidarium (bain tiède), caldarium (bain chaud), et apodyterium (vestiaires).
Les thermes étaient décorés de statues, de mosaïques et de fresques luxueuses. Sur le mur Sud, subsiste une fresque du IIIème s. ap. JC représentant Hylas, l’ami d’Héraklès et disciple de Jason, qui s’est perdu en Mysie, enlevé par des Nymphes alors qu’il va rejoindre la Colchide pour ramener la Toison d’Or : sur la fresque, on le voit se refuser aux Nymphes de l’eau. Sur le sol Sud, on peut voir les fragments d’une mosaïque représentant les enfants de Léto, Apollon et Artémis, tuant les enfants de Niobé avec des flèches car cette dernière s’était vantée de sa fécondité : elle avait, en effet, douze enfants face à Léto, qui en avait seulement deux. Sur une seconde mosaïque, on peut voir Léda et Zeus, métamorphosé en cygne près de la rivière Eurotas.
Cette structure thermale était alimentée par une citerne autour de laquelle était situé le marché aux poissons. Ce réservoir était relié à un aqueduc de 60 km de long transportant l'eau d’une source située près du village actuel de Kythréa. Il a fonctionné jusqu’au VIIème s. ap. JC. Aujourd’hui, subsistent les murs et les restes de trente-six piliers carrés de la plus grande des citernes où était collectée l’eau.
Au Sud des thermes, se situent un amphithéâtre et un théâtre. L’amphithéâtre n’est pas dégagé. En revanche, le théâtre est le plus grand de Chypre : il contenait cinquante rangées de sièges, une orchestra de quarante mètres de diamètre et pouvait accueillir jusqu’à 15 000 spectateurs ! Il date de l’époque d’Auguste et est réaménagé au IIIème s. ap. JC pour accueillir des naumachia (naumachies, combats navals de gladiateurs). Dans son orchestra, on a retrouvé un autel dédié à Dionysos et deux bases de statues dédiées aux Empereurs Commode, Constantin et Maximien. Détruit au IVème s. ap. JC par des tremblements de terre, le théâtre n’a jamais été reconstruit mais a servi de carrière de pierres.
L’agora s’étend sur 230 m de longueur et 55 m de largeur, c’est l’une des plus grandes de l’Antiquité. Elle était entourée de colonnes aux chapiteaux corinthiens. Elle date de la période hellénistique et a été restaurée au début du Ier s. ap. JC.
Au Sud-Ouest de la cité, se situe le temple de Zeus. Il date d’époque romaine mais est construit sur les ruines d’un temple plus ancien datant de la période hellénistique. Deux de ses côtés étaient entourés de portiques à colonnes servant à protéger les boutiques des commerçants de la chaleur en été et des intempéries en hiver. Une seule colonne est aujourd’hui encore debout. La cour de 250 m de long et 95 m de large est monumentale ; on y a retrouvé des inscriptions en l’honneur de Zeus Olympien et de l’Impératrice Livie, épouse d’Auguste.
Ce qu’en dit Hérodote :
Τούτου δὲ τοιούτου γινομένου ἔλεξαν οἱ τύραννοι τῆς Κύπρου, συγκαλέσαντες τῶν Ἰώνων τοὺς στρατηγούς, « Ἄνδρες Ἴωνες, αἵρεσιν ὑμῖν δίδομεν ἡμεῖς οἱ Κύπριοι ὁκοτέροισι βούλεσθε προσφέρεσθαι, ἢ Πέρσῃσι ἢ Φοίνιξι. [2] Εἰ μὲν γὰρ πεζῇ βούλεσθε ταχθέντες Περσέων διαπειρᾶσθαι, ὥρη ἂν εἴη ὑμῖν ἐκβάντας ἐκ τῶν νεῶν τάσσεσθαι πεζῇ, ἡμέας δὲ ἐς τὰς νέας ἐσβαίνειν τὰς ὑμετέρας Φοίνιξι ἀνταγωνιευμένους· εἰ δὲ Φοινίκων μᾶλλον βούλεσθε διαπειρᾶσθαι, ποιέειν χρεόν ἐστι ὑμέας, ὁκότερα ἂν δὴ τούτων ἕλησθε, ὅκως τὸ κατ᾽ ὑμέας ἔσται ἥ τε Ἰωνίη καὶ ἡ Κύπρος ἐλευθέρη ». [3] Εἶπαν Ἴωνες πρὸς ταῦτα « Ἡμέας δὲ ἀπέπεμψε τὸ κοινὸν τῶν Ἰώνων φυλάξοντας τὴν θάλασσαν, ἀλλ᾽ οὐκ ἵνα Κυπρίοισι τὰς νέας παραδόντες αὐτοὶ πεζῇ Πέρσῃσι προσφερώμεθα. Ἡμεῖς μέν νυν ἐπ᾽ οὗ ἐτάχθημεν, ταύτῃ πειρησόμεθα εἶναι χρηστοί· ὑμέας δὲ χρεόν ἐστι ἀναμνησθέντας οἶα ἐπάσχετε δουλεύοντες πρὸς τῶν Μήδων, γίνεσθαι ἄνδρας ἀγαθούς ».
Pendant que ces événements se passaient, les tyrans de Chypre convoquèrent les commandants des Ioniens, et leur parlèrent en ces termes : « Ioniens, nous vous donnons le choix, nous autres Cypriens, d'attaquer les Perses ou les Phéniciens. Si vous voulez essayer sur terre vos forces contre les Perses, il est temps de quitter vos vaisseaux et de vous ranger en bataille ; et nous, après être montés sur nos vaisseaux, nous combattrons contre les Phéniciens ; si vous aimez mieux attaquer les Phéniciens, faites-le. Mais, quel que soit votre choix, songez que de vous dépend la liberté de Chypre et de l'Ionie. »
« Princes de Chypre, répondirent les Ioniens, le conseil commun de l'Ionie nous a envoyés pour garder la mer, et non pour remettre nos vaisseaux aux Cypriens, et pour combattre nous-mêmes à terre contre les Perses. Nous tâcherons de faire notre devoir dans le poste où l'on nous a placés. Pour vous, rappelez-vous le dur asservissement où vous ont tenus les Mèdes, et combattez en gens de cœur. »
Hérodote – Histoire, livre V, Terpsichore, 109, texte traduit par Larcher.