Il y a des points communs entre Aphrodite et Arès. Comme Éros, l’amour sensuel, Éris, la discorde, est nécessaire à l’ordre du monde. Aristote dans son Éthique à Eudème (1235a), Plutarque dans son Isis et Osiris (48), attribuent à Héraclite l’idée selon laquelle sans lutte des contraires, il ne saurait y avoir d’accord (Aristote emploie ici le nom ἁρμονία : celui précisément de la fille des deux dieux, comme le rappelle Plutarque) : tout ce qui existe est le fruit d’une lutte, d’une opposition. Arès et Aphrodite sont donc indispensables ; il n’en demeure pas moins qu’il faut s’en méfier, savoir les tenir à distance : l’un et l’autre introduisent du trouble, du désordre dans les relations humaines, elle dans le cadre du mariage, lui dans le cadre de la guerre. Le rire à l'égard d'Arès a quelque chose d’apotropaïque : il est une modalité de cette mise à distance.
À Athènes, l’ancien conseil royal, devenu le tribunal chargé de juger les affaires de meurtre sous la démocratie, siège sur l’Aréopage : « la colline (ὁ πάγος) d’Arès ». C’est là qu’est dirigé Oreste, après le meurtre de Clytemnestre : les Érinyes, vengeresses furieuses, apaisent leur colère et se font Euménides, bienveillantes. Le site doit son nom au procès d’Arès, meurtrier d’Halirrhotios qui avait violé sa fille ; l’accusé fut acquitté par les dieux. Les Grecs s’efforcent en effet de contenir dans les règles du droit la violence d’Arès qui menace de se déchaîner.
Les Romains assimilent Mars à Arès mais les deux divinités ne se confondent pas. Le domaine de Mars est vaste : s'il est le dieu de la guerre, il est aussi lié à l’agriculture. Il préside donc à deux des activités majeures du peuple romain. C’est le dieu le plus important après Jupiter : il est le père de Romulus et de Rémus ; le premier mois de l’année latine porte son nom. Auguste renforcera son culte. Mais la triade capitoline célèbre Minerve à côté de Jupiter et de Junon, et non pas Mars : même à Rome, Minerve l’habile stratège l’emporte sur la force brute d'Arès.
Arès est le fils de Zeus et d’Héra, le seul qu’ils aient eu ensemble, Héphaïstos étant né de la seule Héra. Il fait partie des douze Olympiens, mais n’occupe pas un rôle de premier plan dans les mythes, ni dans les cultes.
Un hymne homérique lui est consacré : le poème accumule les épithètes qui disent la force du dieu. Arès est très puissant, (ὑπερμενής), il a des mains solides (καρτερόχειρ). Juché sur un char, il porte un casque d’or, un bouclier, une armure d’airain, une lance : c’est le dieu de la guerre, dans ce qu’elle a de fureur dévastatrice. Un chœur des Phéniciennes d’Euripide lui reproche d’être celui qui cause maintes souffrances (πολύμοχθος). Dans Les Sept contre Thèbes d’Eschyle, un messager annonce que les assaillants ont prêté serment et juré par Arès, Enyô et Phobos de détruire et de piller la ville ; la même tirade voit se développer la comparaison de la guerre avec une tempête soufflée par Arès. Le dieu a précisément son séjour sur terre en Thrace, d’où proviendraient les tempêtes. Chez Eschyle encore, le carnage des mortels (φόνος βροτῶν) est décrit comme la pâture d’Arès.
Dans la descendance qu’il a eue avec des mortelles se distinguent des criminels, tel Diomède (le roi de Thrace). Il est aussi le père de Phobos (Φόβος) et de Déimos (Δεῖμος), l’Épouvante et la Terreur, qui mettent l’adversaire en fuite sur le champ de bataille : ils sont le fruit de ses amours avec Aphrodite, tout comme Harmonie (Ἁρμονία, « l’accord »), qu’il donna à Cadmos en mariage et comme gage de leur réconciliation. Cadmos avait en effet tué un dragon, gardien de la fontaine près de laquelle il allait fonder Thèbes. Or le monstre était un des fils d’Arès : de ses dents semées naquirent les Spartes, ancêtres des Thébains. Malgré l’union de Cadmos et d’Harmonie, la succession de générations frappées par la fatalité sur le trône de Thèbes semble réaliser la vengeance du dieu : selon Eschyle, c’est Arès qui, par la mort d’Étéocle et de Polynice, accomplit contre eux les imprécations d’Œdipe.
Dans l’Iliade, Arès est βροτολοιγός, « le fléau des mortels », comme les guerriers impétueux. Athéna, l’autre grande divinité guerrière, l’a invité au chant V à se tenir avec elle à l’écart des combats, afin d’éviter la colère de Zeus et pour que le conflit se règle entre les hommes. Arès répond pourtant à la demande d’Aphrodite, dont le fils, Énée, est menacé par Diomède (le roi d’Argos, fils de Tydée), ainsi que par Apollon. Accompagné d’Éris (Ἔρις), la Discorde, Arès descend directement sur le champ de bataille et excite les Troyens au combat. Comme il le fera encore au chant XVII, il marche à leur tête et sème la terreur et la destruction chez les Grecs.
Héra s’en indigne et obtient de Zeus qu’Athéna intervienne contre lui. Celle-ci prend place à côté de Diomède, dans son char : casquée, méconnaissable, elle détourne les coups du dieu, dirige ceux du héros, qui de sa lance atteint Arès. Celui-ci, ivre de douleur et de colère, n’a plus que la ressource d’aller se plaindre à Zeus, qui le guérit sans cependant lui donner raison. Mais ce n’en est pas fini de la confrontation entre la force guerrière brutale d’Arès et l’intelligence technique et tactique d’Athéna. Au chant XXI, les deux divinités s’affrontent directement : c’est explicitement pour Arès l’opportunité d’une revanche, mais la lutte tourne une nouvelle fois à son désavantage : saisissant une borne, Athéna le frappe : il tombe, étourdi. Il est secouru par Aphrodite, qu’Athéna pourchasse et frappe à son tour.
Or tout cet épisode (qui manque tourner à la bagarre généralisée des dieux), émaillé d’insultes des adversaires, se déroule dans une tonalité presque burlesque, sous les regards et surtout sous les rires des autres Olympiens : Zeus rit du duel, Athéna rit d’Arès, Héra sourit du sort d’Aphrodite et d’Arès. Arès est ainsi un dieu moqué, tourné en dérision. Au chant V, Dionée se plaît à évoquer les outrages qu’il a subis, la captivité que lui ont imposée, enfermé dans une jarre de bronze, les géants Otos et Éphialte. Surtout, au chant VIII de l’Odyssée, le récit que fait l’aède Démodocos de ses amours adultères avec Aphrodite tourne à la farce. Le mari, Héphaïstos, ne se contente pas de piéger les amants dans un filet : il les présente aux dieux, qui rient une nouvelle fois ; le divin artisan décrit lui-même son piège comme une « plaisante machination » (ἔργα γελαστά).
Textes :
- Hymne homérique à Arès
- Iliade, chant V, vers 888 à 898 : les reproches de Zeus à Arès
Ce que chante Homère
ἀτὰρ γλαυκῶπις Ἀθήνη
χειρὸς ἑλοῦσ᾽ ἐπέεσσι προσηύδα θοῦρον Ἄρηα·
Ἆρες Ἄρες βροτολοιγὲ μιαιφόνε τειχεσιπλῆτα
οὐκ ἂν δὴ Τρῶας μὲν ἐάσαιμεν καὶ Ἀχαιοὺς
μάρνασθ᾽, ὁπποτέροισι πατὴρ Ζεὺς κῦδος ὀρέξῃ,
νῶϊ δὲ χαζώμεσθα, Διὸς δ᾽ ἀλεώμεθα μῆνιν;
ὣς εἰποῦσα μάχης ἐξήγαγε θοῦρον Ἄρηα·
τὸν μὲν ἔπειτα καθεῖσεν ἐπ᾽ ἠϊόεντι Σκαμάνδρῳ...
Mais Athénè aux yeux de chouette, prenant par la main l'impétueux Arès, lui dit :
« Arès, Arès, fléau des mortels, souillé de meurtres, rôdeur de remparts, ne pourrions-nous laisser Troyens et Achéens se battre, pour voir à qui Zeus le père offrira la gloire ? Nous deux, n'allons-nous pas nous retirer ? Ne fuirons-nous pas la colère de Zeus ? » Ayant dit, elle entraîna hors du combat l'impétueux Arès, et le fit asseoir sur les bords escarpés du Scamandre.
Iliade, Chant V, vers 29-36 - Traduction d'Eugène Lassère